[Avis] Charogne - Etat Libre d'Orange



L'Etat Libre d'Orange s'amuse souvent à baptiser ses parfums de noms qui fleurent bon la bravade potache, mais avec... Charogne, il a vraiment mis la barre haut. Histoire d'enfoncer le clou, on nous apprend que la flatteuse épithète réfère en l'occurrence à une dame d'un certain âge, "chair mûre" qui "attend qu'on la prenne"... et quelques vers bien sentis de Baudelaire viennent apporter la touche finale.  

Provocation gratuite? 
A vrai dire, non. Charogne explore bel et bien ce trait d'union chimique que la Nature a placé entre les cadavres et certaines fleurs blanches: les indoles. Concentrées, ces molécules sentiraient plutôt la naphtaline, mais en composition, elles présentent un côté animal, rond, un peu encre, très caractéristique. 


Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
        Ce beau matin d’été si doux:
Au détour d’un sentier une charogne infâme
        Sur un lit semé de cailloux,



La chose pourrait sembler peu ragoûtante, mais en réalité, Charogne n'est pas au faisandé ce que Sécrétions Magnifiques était aux fluides corporels. Si les indoles sont bien présentes, elles ne dominent pas réellement une fragrance en fait très agréable, un oriental floral-vanillé tout à fait portable. Mais qui va un peu plus loin...

Dans cette première collaboration avec Etat Libre d'Orange, Shyamala Maisondieu (Comme des Garcons + H&M, Wild Meadow de Kate Moss) a en fait réussi un joli tour de force: elle a adopté le style maison, délibérément synthétique et comme taillé à la machette, pour dessiner le portrait conceptuellement - si pas olfactivement - subtil d'une fleur pleinement épanouie, qui commence juste à se faner. 


Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
        Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
        Son ventre plein d’exhalaisons.


Le départ a un côté bubble-gum rose, collier de bonbons, mais une solide concentration d'indoles, sous leur angle un peu naphtaline, vient y ajouter une nuance insidieusement dérangeante. Un lys d'une profonde suavité arrive très rapidement, teinté d'une touche d'ylang, et se fond totalement dans les notes bonbon. 

L'hybride ainsi créé semble familier, mais on ne peut se départir d'une impression d'étrangeté... et pour cause. A grand renfort de baumes (benjoin vanillé, tolu), la créatrice a peint l'évocation d'une fleur abstraite au jour où elle exhale son dernier souffle: la suavité presque excessive, l'opulent épanouissement qui donne une allure exotique, solaire, les vapeurs grisantes qui rappellent  un peu le gazoil sont autant de caractéristiques des fleurs dont la maturité est en train de devenir flétrissement. Charogne est douceâtre comme un fruit blet.

Mais qu'on ne s'y trompe pas: tout ce jeu d'évocation des différentes facettes olfactives du défraîchissement reste en réalité assez subtil, grand clin d'œil dans un parfum avant tout fleuri blanc-baumé solaire, où la note bubble-gum et les indoles se font toujours sentir.
L'évolution va concentrer le propos sur des notes vanillinées de plus en plus marquées, chaleureuses, tout juste approfondies d'une ombre d'encens, et qui vont finir par dominer en fond.
 
 
Et le ciel regardait la carcasse superbe
        Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
        Vous crûtes vous évanouir.


S'il n'a pas toute l'insolence que son nom aurait laissé supposer, s'il n'offre (heureusement?) pas vraiment la "sublime pestilence" promise, Charogne reste un parfum très réussi, original mais aisément portable, avec une composition intelligente et pleine d'humour. A mon goût, il serait même, avec Vierges et Toreros, l'un des deux plus intéressants de la gamme classique d'Etat Libre d'Orange. Il en partage aussi, malheureusement, une qualité de matières premières plutôt moyenne à mon nez. 
Que les amateurs de fleuris narcotiques ne se laissent pas dérouter par son nom, l'opulence capiteuse de Charogne pourrait leur plaire...




Notes de tête: bergamote, baie rose, gingembre
Notes de cœur: lys, ylang-ylang, jasmin, encens
Notes de fond: vanille, note animale, ambrette, cuir  



Créateur: Shyamala Maisondieu
Année de création: 2007
Famille: oriental vanill
é
Disponible
: en Eau de Parfum,
vapo 50 ml (59 EUR), en points de vente sélectionnés. En ligne, notamment sur la boutique en ligne d'Etat Libre d'Orange et chez Aus Liebe zum Duft (échantillon disponible).


Images: Luckyscent; Fragrantica. Une charogne de Charles Baudelaire: texte complet
  

9 commentaires:

Merytsia a dit…

Je me suis arrêtée au bubble-gum de départ sur tigette qui m'avait littéralement repoussée. Faudra que je réessaye, je suis curieuse de sentir l'interprétation des fleurs fanées.

Six' a dit…

Méryt,

Je trouve qu'il en vaut la peine, en tenant bien sûr compte de l'esthétique maison, on n'est pas dans le naturalisme... je serais curieuse d'avoir tes impressions!

Merci de ta visite!

Merytsia a dit…

En fait cela fait quelques mois que je lie tous tes posts, mais d'habitude comme je n'ai pas encore senti les parfums dont tu parles (mais en générale je vais les sentir suite à cette lecture) je n'ai rien à dire.

carmencanada /Grain de Musc a dit…

J'ai porté Charogne toute une soirée, et je l'ai trouvé à la fois beau et source d'un certain malaise à cause de ce côté douceâtre. En effet, tu as raison, les parfums ELdO partagent cette écriture qui peut sembler inachevée jusqu'à ce que l'on prenne conscience qu'il s'agit d'un style maison. Cela ne m'est pas apparu lors du lancement, mais seulement au moment où j'ai pu en tester quelques-uns avec un certain recul.

Clochette a dit…

Je n'ai pas très envie de découvrir cette marque. Je peux comprendre que le côté subversif, l'humour 2eme degré en séduisent certains, mais la plupart de leurs concepts me dégoûte vraiment trop. Pourquoi faudrait-il passer d'un extrême à l'autre, aller jusqu'à porter un parfum qui s'appelle Charogne en réaction à des parfums fruités cuculs à la Miss Dior Chérie? Non, je n'adhère pas. Les seules sécrétions que j'aime sentir sont celles de l'homme que j'aime dans l'intimité... L'article est très bien écrit, mais cette fois je passerai mon tour =)

Six' a dit…

D,

C'est peut-être aussi parce que j'ai testé la gamme en rapide succession que la similarité m'a sauté au nez, un style enlevé, un peu brut et plutôt synthétique, que je trouve au final assez dadaïste, d'un joyeux iconoclasme.

(et je dois dire que c'est cette note douceâtre, insidieusement malsaine, qui m'intéresse ici... mais peut-être pas à porter régulièrement, en effet!)

Six' a dit…

Clochette,

Je peux comprendre! Comme je disais plus haut à Denyse, pour moi c'est de la parfumerie Dada, qui ne va certainement pas plaire à tout le monde, ni même forcément aux perfumistas vu son outrance. Pour moi, le trait est tellement forcé au niveau des noms et des concepts que je trouve le tout fort drôle... Bien entendu, tout ça ne serait que du vent si les jus ne suivaient pas. Or à mon nez, la majorité est généralement intéressante, même ce fameux Sécrétions Magnifiques - une horreur que j'ai dû sceller tellement il me soulevait le cœur (un jus hyper métallique salé, finalement loin de senteurs que comme vous, je préfère dans l'intimité! ;))... mais au moins ça n'est pas du passe-partout!

Alexis a dit…

Ce parfum est peut être mon préféré de la gamme ELO. En fait j'aime à peu près tout dedans : le concept décalé, la composition, mais aussi les dosages et les références humoristiques.

ELO serait à la parfumerie ce que les Monthy Python sont au cinéma ?

Peut être.

La tête est comme chacun s'accorde à le dire plutôt proche de la gomme à macher (mes racines québecoises qui ressurgissent^^) et aussi une petite note épicée mais plutôt douce à la manière de Si Lolita. C'est peut être la facette que j'aime le moins, mais elle profile bien le reste.

En gardant l'image de la gomme à macher, imaginez que l'on tire la gomme de manière à ce qu'au centre la gomme se déchire un peu. Vous arrêtez pour pas que la gomme se brise en deux morceaux non plus. Et bien imaginez vous avez fait ce trou un peu au dessus du ciel, vous avez donc vu le ciel apparaitre peu à peu. Oui, c'est bien l'étendue bleu et parfois nuageuse du ciel que je vois dans le coeur, toujours avec un peu de note de gomme à macher que je sens.

Puis pour arriver au fond, Charogne m'évoque que l'on tire à nouveau sur la gomme à macher jusqu'à ce qu'elle disparaisse. On peut alors observer le ciel et moi je vois la cigogne qui apporte son bébé. Il y a une sorte de côté soyeux du drap blanc, mais aussi une odeur pas vraiment animale comme on peut la connaitre d'habitude, mais quand même animale ^^ (je me comprend...).

Après, je sens le lys, le jasmin, toutes ces fleurs blanches, mais là encore, ELO parvient à me faire évoquer tellement de choses précises que j'arrive pas à décrire objectivement ce que je sens. Si ce n'est des fois des allusions à Encens et Bubblegum mais de manière plus étoffée.
De plus, je m'attendais à un fond plus vanillé, mais je le trouve plus poudré au final et l'image du bleu et du blanc est tellement forte que je n'arrive pas à sentir de vanille.

En tout cas, Charogne est pour moi d'une énorme puissance évocatrice, mais pas vraiment décomposable, ni même avec une odeur de fleur pourrie, si ce n'est à un petit moment dans le coeur où je vois plutôt l'odeur d'une fleur écrasée ou macérée entre nos doigts.

Vive l'odorat !

Anonyme a dit…

J'aime ELO pour son originalité, et Jean Peste (www.jeanpeste.fr) pour son cynisme et son ton décalé, lui aussi.