Et l'or de leurs corps





I was wrapped in black
fur and white fur and


L'argent n'a pas d'odeur, dit-on. Le pécuniaire fondu dans le même creuset que le métal noble, prosaïque français. Et pourtant elles puent, nos monnaies passées de mains, en mains, en mains, mais qu'importe, l'adage le veut inodore, d'où qu'il vienne, quel qu'il soit, cet argent.

Et l'or? Il a une odeur, l'or? 


you undid me and then
you placed me in gold light


Question posée, qu'on ferme les yeux et l'imagination s'éveille, l'évocation de l'or enfièvre les esprits et les rêves vont vers l'ailleurs, irrésistiblement l'or est l'oriental et l'oriental est d'or. Qu'un parfum ruisselle d'ambre, de vanille et d'épices, et son souffle de Shéhérazade évoque un Levant fantasmé aux mille et une dorures, chaleur du khamsin et soleils rougeoyants, Ingres le dispute à Baudelaire et la reine de Saba aux odalisques alanguies dans leurs parures. 
Shalimar? De l'or liquide. Mitzah de Dior, avec son encens, ressemble à une reine byzantine. Les Arabian Nights de Kilian, les Mille et Une Nuits d'Armani Privé s'habillent d'or, théâtralement contrasté de noir. Les Nuits Indiennes de Scherrer étaient annoncées par de klimtiennes sirènes mordorées. Dans les Orientalistes d'Annick Goutal, l'ambre philosophal rejoint la myrrhe et l'encens au rang des cadeaux des Mages.
Or des Indes, chez Maître Parfumeur et Gantier.
Or du Sérail, pour Naomi Goodsir.
Difficile d'être plus explicite.

Curieuse, pourtant, cette association automatique. Domus Aurea de Néron, châsses rutilantes des saints catholiques, Versailles rococo, l'Occident n'a jamais boudé les dorures. Mais l'or a la couleur du soleil, il se doit d'en avoir la chaleur, dans les esprits. 


and then you crowned me,
while snow fell outside
the door in diagonal darts.


Du soleil source de vie au divin, le pas est vite franchi, l'or est la chair des dieux en Égypte, sa rareté même renforce cette aura et l'or sacré, noble entre tous, devient symbole de l'excellence même. Et J'Adore de Dior d'en jouer jusqu'à la suffocation, noyant sa sage senteur florale dans des visuels saturés aux évocations bâtardes, les bains d'or juxtaposés aux colliers de femme girafe. Amouage de donner à son parfum quintessenciellement français le nom qui représentait le mieux sa perfection - Gold. Kenzo, Miyaké, Nina Ricci décident de produire une version paroxystique de leurs eaux de parfums? Les atours de la déclinaison précieuse se dorent. Et Guerlain, depuis un moment, ne jure que par lui pour abriter ses essences.


and at first I rubbed your
feet dry with a towel
because I was your slave
and then you called me princess.
Princess!


Tout ce qui brille n'est pas or, oh que l'adage est sage, mais ce qui brille y ressemble et se fait plus désirable, demandez aux entrées de gamme qui en raffolent, Zara Gold, Gold de Jay-Z, Benetton Gold, Queen of Gold de Naomi Campbell, n'en jetez plus, les voies de l'Eldorado sont pavées de médiocres flacons. Guère plus élégant, N°1 de Clive Christian, le nouveau "parfum le plus cher du monde" s'est cru tenu de se déguiser en lingot couronné. Et Paco Rabanne s'en amuse et abuse, avec son impensable parpaing doré, flanké d'un gros pavé jaune facetté pour sa girl(best)friend - l'or louche plutôt sur le louis, le bling décomplexé se fait pied-de-nez rieur, et le public en redemande. Banco.


Oh then I stood up in my gold skin
and I beat down the psalms
and I beat down the clothes


Oui, mais l'or, dans tout ça? 

L'or véritable, nu, dépouillé de sa gangue de connotations, de mythologie et de fantasmes? Un métal incorruptible, imputrescible. Inerte. Au goût, à l'odeur, l'or n'est pas. Neutre, parfaitement. Une antimatière. 


and you undid the bridle
and you undid the reins
and I undid the buttons,
the bones, the confusions,
the New England postcards,
the January ten o'clock night,


C'est à cet or-là que Comme des Garçons a choisi de donner une senteur, avec Antoine Lie pour alchimiste.
Partir de la Safraline, molécule dérivée du safran? Judicieux choix, tant par la couleur de l'épice que par son coût. S'y ajoutent de la coriandre, le poivré-épicé d'un accord "pepperwood", en tête. Puis du curcuma, du géranium. En fond, oliban, patchouli, et enfin l'ambre attendu. Mais ce qui sort de l'alambic n'est pas la somme de ses parties. Ce 8 88 est une senteur d'abord très discrètement étrange, à la tête aigre, même pratiquement vinaigrée. Très vite, elle vire à un fleuri froid diaphane, eugénolé/poivré. Quelques relents minéraux, légers.
Au final, un parfum ténu, transparent. Qui ne reste pas vraiment plus dans la mémoire qu'il ne tient sur la peau. Le concept était pointu, le résultat l'est moins.
La transmutation n'a pas vraiment opéré. 


Le parfum de l'or reste insaisissable.
Il ne vit, palpable, que dans nos imaginaires.


and we rose up like wheat,
acre after acre of gold,
and we harvested,
we harvested.



Für Elise.                 

Extraits de Us, du recueil Love Poems, Anne Sexton, 1969