S'il était une chose qui pouvait m'extirper de ce long tunnel de travail, marqué incidemment par une histoire d'amour presque monogame avec le merveilleux, le chatoyant ambre Mitzah de Dior, c'était bien un nouveau lancement signé Serge Lutens. À peine la page 2010 tournée, février arrive déjà, et avec lui la désormais traditionnelle sortie "export" de la maison...
Son nom?
Sibyllin, comme souvent: Jeux de Peau.
Son histoire?
Cette fois encore, son fil dépasse, discret, de la trame de la vie du Maître. En l'occurrence, c'est un rituel d'enfance qui a marqué au fer rouge sa mémoire olfactive: les expéditions mi-effrayées, mi-triomphales du petit Serge - sept ans à peine - vers sa boulangerie du Nord, pour y quérir le pain quotidien de la famille.
Pour ce nouvel opus, on nous parle donc de pain qui cuit, et même... de tartines de beurre! Autant d'incongruités, à première vue, dans le monde du parfum, mais les excentricités raffinées et pleines d'humour ne sont-elles pas, finalement, l'une des marques de fabrique de la maison?
Cette senteur de pain en train de dorer au four et qui, en fin de cuisson, vous embaume toute une maisonnée, je la connais par cœur. Et je l'adore. J'en connais peu d'aussi réconfortantes et réjouissantes à la fois.
À lire les premiers échos de la présentation presse de Jeux de Peau, j'espérais, un peu follement, la retrouver dans ce flacon... la magie pouvait-elle aller jusque là?
Hélas, non.
Autant le dire d'emblée, ceux qui rêvaient d'effluves de fournil ne pourront qu'être déçus. Et à y bien penser, l'idée de départ elle-même n'est pas si neuve qu'il y paraît, puisque l'un des confidentiels Miroirs de Thierry Mugler sortis en 2008, Miroir des Envies, jouait déjà d'un accord "pain grillé"...
Quoi qu'il en soit, s'il ne correspond pas vraiment à ce qu'il laissait présager, le Lutens nouveau n'en est pas moins un très bon cru, qui réussit à atteindre un bel équilibre entre les codes maison, reconnaissables sans effet "redite", et surtout l'étonnante originalité d'un camaïeu ocre d'accords grillés.
À lire les premiers échos de la présentation presse de Jeux de Peau, j'espérais, un peu follement, la retrouver dans ce flacon... la magie pouvait-elle aller jusque là?
Hélas, non.
Autant le dire d'emblée, ceux qui rêvaient d'effluves de fournil ne pourront qu'être déçus. Et à y bien penser, l'idée de départ elle-même n'est pas si neuve qu'il y paraît, puisque l'un des confidentiels Miroirs de Thierry Mugler sortis en 2008, Miroir des Envies, jouait déjà d'un accord "pain grillé"...
Quoi qu'il en soit, s'il ne correspond pas vraiment à ce qu'il laissait présager, le Lutens nouveau n'en est pas moins un très bon cru, qui réussit à atteindre un bel équilibre entre les codes maison, reconnaissables sans effet "redite", et surtout l'étonnante originalité d'un camaïeu ocre d'accords grillés.
Voilà, précisément, ce qui pourrait être le fil rouge de la fragrance. S'il emprunte au boulanger quelques souvenirs de croûte un peu trop brunie, Jeux de Peau se concentre surtout sur l'odeur caractéristique du pain grillé, une senteur de céréales, légère, soufflée, qui rappelle un peu les noisettes et les arachides. Les premières minutes, surtout, sont une explosion pétillante et protéiforme, exhalant en rafale une tonalité effectivement beurrée (!), bientôt rejointe par la suavité d'un santal lacté, puis par cette senteur de toast de plus en plus soutenue, se retenant tout juste au bord de l'âcre.
Derrière eux se profile un accord un peu réglissé, effleuré de caramel sombre mais sans une once de sucre. J'avais peine à identifier cette senteur pourtant familière, un peu amère, nettement torréfiée sans aller jusqu'au corsé du café - puis j'ai trouvé la clé de l'énigme chez Elisabeth de Feydeau: c'était la bonne vieille chicorée du Nord. Serge Lutens nous invite décidément à la table d'un de ses goûters d'enfance...
Épanoui et solaire, l'effet beurré-lacté se prolonge tandis que l'accord pain grillé, toujours bien présent, baisse un peu de volume - juste assez pour laisser entendre la voix joliment abricotée de l'osmanthus. En fond résonnent les murmures de la signature Lutens: une pincée d'épices, une fumerolle d'encens, des copeaux de bois secs (tout juste nuancés, ici, d'un irrésistible côté "feu de bois")... mais point, à mon nez, des fruits confits tout aussi emblématiques. Sur mon épiderme du moins, Jeux de Peau ne cède qu'à regret à se mâtiner d'un soupçon de sucre, campant fermement sur ses positions grillées - lactées - boisées.
Et c'est tant mieux, mille fois. Tel qu'il est, oriental-boisé bon teint, il reste cohérent avec le reste de la gamme par son allusion relativement discrète aux codes maison, mais il ne rabâche pas. J'y trouverais en quelque sorte une suite conceptuelle au subtil travail de Boxeuses sur les tonalités brûlées/corsées, en déclinant cette fois le grillé/torréfié, dans un contraste avec son opposé beurré/lacté qui lui donne des allures gustatives bien plus que gourmandes. La recherche est intelligente, et le résultat, original, surprenant même, ne plaira certes pas à tous - mais il est, à mon goût, très convaincant.
Notes de tête: notes florales, notes épicées, note abricot Notes de cœur: seigle, blé, santal, encens, notes grilléesNotes de fond: accord lacté, notes réglissées, iris, ciste labdanum |
Maison: Serge Lutens (gamme export) Créateur: Christopher Sheldrake (?) et Serge Lutens Année de création: 2011 Famille: oriental-boisé Disponible en Eau de Parfum, vapo 50 ml (79 EUR), aux Salons du Palais Royal Shiseido en février; dès mars, en points de vente sélectionnés. Il peut déjà être découvert aux Salons. |
[impression personnelle] tenue ++- sillage +-- [sillage ample à la vaporisation, puis nettement plus restreint] |
Images: flacon via Homme Urbain; Jean Metzinger, Le Goûter (Femme à la Cuillère), huile sur carton, 1911, Philadelphia Museum of Art (via About.com).
10 commentaires:
Je l'ai testé hier, donc encore sous le coup d'une brève rencontre, que j'ai très envie de pousser plus loin. Tout d'abord parce qu'en effet l'effet "pain" ne se fait pas sentir, et qu'il m'a plutôt fait penser à un pain perdu accompagné, comme le dit très justement Elisabeth de Feydeau... d'une bonne vieille chicorée.
Mon entourage a été assez marqué par la note réglisse et surtout, plusieurs personnes m'ont demandé ce que je portais... ce qui sous-entend qu'il me faut absolument creuser cette relation avec "Jeux de Peau" !
Bonne fin de week-end...
Quelle joie de te voir de retour !
Je ne l'ai testé qu'une fois ou deux : c'est sa dimension "constructiviste" qui m'a frappé. J'ai le sentiment qu'on y trouve des tas d'éléments de la gamme mais réagencés de façon à créer un produit assez nouveau, sans redondance. A explorer plus avant...
Ravi de lire les fruits (pas confits) de ta plume à nouveau! Je ne l'ai testé qu'une fois, sur peau mais rapidement et j'ai été plutôt convaincu!... Outre le pain grillé et la pointe abricotée, pendant un certain temps, j'ai eu une impression vague de riz basmati et d'épices thaïlandaises indistinctes!... Très curieux et assez irrésistible!...
Xavier
Jeux de Peau dont le flacon renferme l'univers magique d'une boulangerie francaise imaginé et sublimé par Serge Lutens sera mon rempart contre l'uniformisation des centres commerciaux et des chaines de fast-food americains!
Sixtine,
C'est un immense plaisir de te retrouver, la plume toujours alerte et inspirée !
Que dire de "Jeux de Peau", sinon que je ne l'ai pas senti et que j'attends avec impatience de le découvrir !
J'ai adopté tout récemment "Tubéreuse Criminelle" (disons qu'il a bien voulu de moi !), d'une beauté à couper le souffle. J'en suis folle. Qui l'eût cru : je suis passée à côté pendant onze ans ! Comme dirait l'autre, lui et moi, c'est du sérieux ;-) !
Six' je me joins aux voix réjouies de te lire à nouveau!
Moi aussi, curieuse de mettre mon nez dans Jeux de Peau, même si les parfums "alimentaires" n'ont pas ma préférence, loin s'en faut...
Jeeks, si je peux me permettre de vous repondre, Jeux de Peau n'est pas absolument pas un parfum alimentaire du genre gourmand calorifique et puis c'est surtout une idee travaillee, sublimee autour de cette exception francaise, la boulangerie. On est bien loin d'un parfum qui se contente simplement de recreer l'odeur du pain du chaud et point barre.
well I can't wait to try this even though it was the bread I was really excited about and it sounds like that isn't what was expected
C'est une tres bonne marque de produit
* Aux salons du Palais-Royal, j'ai beaucoup aimé les notes de fonds sur la touche.
J'aime de plus en plus la cannelle, et la signature Lutens. Des parfums comme "el attarine" me sourie mieux désormais. Et on découvre avec "jeux de peau" des clins d'œil souriant aux autres lutens (épices(cannelle), prune, cèdre transparent, santal).
S'ajoute un souvenir de sourire au dessus du bol de lait chaud et de tartine-céréal.
Et un clin d'oeil à "safran troublant". Santal, et effet lacté, m'ont rappelé safran troublant. (les souvenirs de Xavier de riz basmati et d'épice thailandais corroborent l'hypothèse)
* Donc je suis content de sentir l'odeur du pain, contrairement aux autres commentaires.
* C'est en demandant une touche fraîche que j'ai compris : une odeur âcre et perçante se déploie. Pour moi c'est du tabac, l'odeur de tabac froid du cendrier, communément désagréable même pour les fumeurs. Le petit garçon a une mère qui fume dans la cuisine. Une odeur âcre, acerbe, comme du cyanure, vient corsé le fond tout doux, doux comme un enfant qui sourit devant son bol en se réveillant.
* Je vais tester à l'avenir sur ma peau, et sur tissus, pour savoir qui des 2 personnalités du parfum l'emporte.
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