Après s'être longtemps tenue à l'écart du phénomène des parfums "de niche", la maison Chanel rattrapait son retard avec la manière. Il y a presque un an sortaient ainsi Les Exclusifs, une collection de dix eaux de toilette grand format (200 ml!) mêlant rééditions de grands classiques et nouveautés signées par Jacques Polge, parfumeur attitré de la maison, et par un certain... Christopher Sheldrake.
Ainsi réunies avec les légendaires Bois des Iles, Cuir de Russie, Gardénia et N°22, les six nouveautés ne pouvaient se permettre le moindre faux pas pour se hisser à la hauteur de leurs aînés. Matières premières rares, coûteuses, de la plus haute qualité, liberté de composition que Jacques Polge avoue ne jamais avoir connue jusque là, Chanel n'a rien négligé pour que le pari soit réussi. Avec une particularité: mis à part l'Eau de Cologne, exercice de style obligé dans la parfumerie du début du siècle dernier, les nouvelles compositions illustrent toutes l'une ou l'autre facette de la vie et du parcours de Coco Chanel... une biographie faite parfum.
Lorsqu'elle découvre les paravents chinois en laque de Coromandel, incrustés de nacre, couverts de dorures, Mademoiselle Chanel croit "s'en évanouir de bonheur"... et les démantèle incontinent pour en garnir les murs de son appartement du 31, rue Cambon. Laques chinoises, livres précieux, lustres de cristal, dorures et bibelots... le tandem Polge-Sheldrake s'est inspiré du décor baroque, riche à l'extrême de ces appartements pour créer Coromandel, l'oriental de la collection.
Avec les connotations peu heureuses qui y sont attachées (beaucoup l'associent aux hippies, d'autres ne parviennent pas à le dissocier d'Angel), l'ingrédient aurait pu être périlleux à utiliser, en particulier dans un parfum de cette gamme... mais ce serait sans compter avec l'esprit Chanel: dans Coromandel, le patchouli se pare d'une élégance remarquable.
D'entrée de jeu, c'est bien la caractéristique senteur terreuse-boisée de la plante indonésienne qui se déploie dans toute sa puissance, avec une texture au départ particulièrement râpeuse, teintée d'un fugace arôme de vin rouge sec. A mesure qu'il évolue sur la peau, pourtant, le patchouli (note que, personnellement, je n'aime pas du tout) s'apprivoise, s'assouplit, se fait doré, raffiné. Comme pour tous les Exclusifs, la composition n'est pas publiée officiellement, mais les sources les plus sûres, au détour d'interviews des créateurs, mentionnent de la vanille, des épices (poivre), de la fève tonka, du labdanum, de l'ambre, de l'encens, des notes boisées, et peut-être des écorces confites.
A mon nez, c'est l'ambre teinté d'épices qui est le plus présent pendant cette phase, nuancé d'une touche de benjoin et illuminé de cette note, légère mais bien perceptible, d'écorces aigres-douces. L'ensemble compose une monture précieuse, dorée, polie, dans laquelle vient s'enchâsser un patchouli devenu lustré. A ce stade, Coromandel devient, pour moi, littéralement irrésistible, au point que j'ai peine à arrêter de humer compulsivement mes poignets!
Il se poursuit longtemps, très longtemps sur cette lancée, ponctué de temps en temps d'un fugace rappel de la facette terreuse du patchouli, d'un piquant frémissement des épices, d'une volute ténue d'encens, en gardant toujours cette élégance soyeuse, indéfinissable.
L'attrait supplémentaire de Coromandel est qu'il ne cesse d'évoluer, de se métamorphoser tout au long de sa tenue, mais aussi d'une fois à l'autre, sur la même personne! Il est des jours où le patchouli se fait particulièrement râpeux sur moi, à la limite de l'écœurement, mais d'autres où c'est un merveilleux ambre épicé qui occupe le devant de la scène. On a pu le comparer au Prada éponyme mais, s'il y est effectivement apparenté, Coromandel me paraît plus abouti, avec plus de personnalité et surtout d'allure.
Bon point, enfin, pour la tenue, vraiment excellente pour une eau de toilette. Dommage par contre que Chanel ait décidé de ne proposer cette collection qu'en bouteilles géantes de 200 ml, peu pratiques, difficiles à finir et fort coûteuses, même si le prix au millilitre reste au final tout à fait raisonnable.
Quoi qu'il en soit, ce magnifique Coromandel est, pour moi, l'un des plus réussis des Exclusifs. Et à chaque essai, l'une de ces énormes bouteilles me tente un peu plus!
Maison: Chanel
Créateur: Jacques Polge, en collaboration avec Christopher Sheldrake
Année de création: 2007
Famille: oriental-boisé
Disponible en eau de toilette, vapo 200 ml, uniquement dans les boutiques Chanel (180 EUR)
Sources: L'Express, The Australian, The New York Times
7 commentaires:
Oh la la ! Un article qui donne envie de découvrir sans plus tarder et "de nasu" ;-) ce patchouli chanellisé ! Il me paraît bien séduisant... J'aime assez la note patchouli, bien que je sois moi aussi conditionnée par une certaine image... Dommage que le format ne se prête pas à une simple découverte. Là c'est un engagement durable qu'il faut, pas de repentir possible ! J'aimerais aussi le comparer à Bornéo 1834. Deux Maisons, deux philosophies - tu devines vers laquelle mon coeur me porte ! - mais toujours la patte de Christopher Sheldrake...
En attendant Bornéo est sur ma liste d'anniversaire, avec Rahät Loukoum ;-)...
Coromandel est probablement le meilleur de la série parmi les "nouveaux", je lui trouve presque un petit côté Guerlain... Un beau patchouli ambré, floral, épicé, à la tenue effectivement très bonne (contrairement à certains autres, comme 28 La Pausa, qui ne sent plus rien au bout de quelques heures...)Je suis d'accord, c'est dommage qu'on ne puisse pas l'acheter à moins de 500ml !
Rafaèle,
Exactement, à 200 ml, il vaut mieux être sûr du vrai coup de foudre!
Tu me fais penser que je n'ai jamais donné sa chance à Bornéo 1834, à cause du... patchouli! J'ai reconnu la note, reposé la bouteille et je n'y ai plus touché. A revisiter d'urgence, donc!
Jeanne,
Après les rééditions (je n'avais encore jamais senti les mythiques Bois des Iles et Cuir de Russie), Coromandel est celui qui m'a vraiment le plus marquée, mais découvrir les dix Exclusifs d'un coup n'est peut-être pas la meilleure manière d'apprécier les plus discrets... d'autant plus que ce choix de ne proposer que des eaux de toilette permet difficilement de les apprécier dans la longueur! Sinon, j'ai entendu beaucoup de bien du N°18, qu'en as-tu pensé?
Coromandel est mon paravent chinois à moi, les jours brumeux et froid, il égaye et magnifie ma journée, de sa note de tête qui égraine mes heures jusqu'à sa note de coeur qui me porte jusqu'au bain du soir,il m'accompagne comme un ami fidèle.
Patchouli charnel, ambre addictive,
une espèce de fumée de petits cigarillos vendus qu'en Malaysie,cela vaut bien 180 ml d'espace à un prix cohérent.
Gabrielle Chanel aurait aimé l'idée
d'un parfum "laqué". LB
J'ai aussi eu un coup de cœur pour Coromandel.
Moi qui jusqu'alors n'aimait pas le patchouli.
(au début, j'avais même le préjugé que ça signait un "mauvais parfum" : Angel a inspiré une mode de parfum fruitchouly qui ont causé du tort au patchouly)
J'y vois une construction similaire à "bois des iles", le patchouli est complimenté de fleurs et de baumes sans masquer la note principale. Difficile de décrire comment un parfum est "beau". Tous les ingrédients respirent la qualité, sont beaux.
Je pense que de l'ylang-ylang et de la rose se cache dans l'ouverture, et confère au parfum une ouverture magnifique. (Coromandel est féminin, mais beau alors je le porte)
Par contre je ne suis pas d'accord pour la tenue. J'ai beau appuyé 6 fois sur le flacon que j'ai racheté au 3/4 vide, je n'obtiens pas un sillage. J'ai essayé le tissus, la peau, je réessaierai la peau.
J'ai eu le même désarroi en essayant bois des iles, 6 pulvérisations sur tissus et peau furent nécessaires à créer un sillage, et obtenir un drydown 2H après. (Un drydown magnifique de bois de santal de forêt enchanté (méditatif, médicinal, lacté, boisé, facette plastique et caoutchouc)).
Coromandel confine très vite (quelques minutes) à un drydown patchouli-cacao, certes ravissant, mais qu'on trouve ailleurs : bornéo, l'instant pour homme. Et pour moins cher.
Et c'est là où je voulais en venir : il y a quelque jour j'ai essayé des parfums de grande distribution, et voilà que je sens l'accord de fond de "coromandel" dans le lot. Il s'agissait de "l'instant pour homme" de guerlain.
(oui l'ouverture est citronnée mais le fond c'est bien ça (d'ailleurs coromandel contient de l'écorce d'orange en ouverture (c'est Patrica de Nicolai qui va être jalouse, cette note signe beaucoup de ses parfum)))
Or la créatrice de l'instant pour homme, Béatrice Piquet n'a pas survécu à son cancer. L'instant pour homme est sorti quelque années avant coromandel et bornéo. Je pense qu'il faut lui attribuer le mérite de la création de cet accord patchouli-cacao, plutôt qu'à Christopher Sheldrake comme le fait Luca Turin.
Julien,
Décidément, ça se confirme: même les patchouliphobes l'apprécient! Je me demande même s'il ne pousserait pas à aimer le patchouli, à force... ;)
Le parallèle avec Bois des Îles est très juste, je n'y avais pas pensé mais il y a effectivement une parenté de structure. Et comme cet ancêtre, il irradie de qualité à tous les niveaux. Une harmonie dans la surdose, des matières excellentes... une personnalité, surtout, qui les rendent immédiatement interpellants, l'un comme l'autre. J'ai justement porté Bois des Îles ce week-end, pour la première fois depuis un bon moment, et il m'a re-séduite...
Pour la tenue, ça m'intrigue, je la trouve très bonne! Bien sûr, ce ne sont que des edt, mais sur moi, Coromandel tient parfaitement. Bois des Îles, peut-être un peu moins, mais il faudrait que je reteste (y compris pour chercher le caoutchouc, que je n'ai jamais senti!). La tenue varie aussi selon les peaux, c'est sûr, mais si même le vaporiser sur le tissu n'aide pas, je donne ma langue au chat!
Pour le reste... ma foi, c'est sûr que le mariage cacao-patchouli n'est pas neuf - mais plus loin que l'Instant pour Homme, je le ferais remonter à Angel, non? A ma connaissance, c'est le premier qui ait juxtaposé les deux notes en surdose... je crois que Coromandel et Bornéo (et la prochaine Heure Défendue de Cartier, d'ailleurs) - plus, donc, l'Instant pour Homme que je n'ai plus du tout dans le nez - ont repris ce duo devenu "classique", dix ans plus tard. Mais j'ai peut-être manqué quelque chose?
La toute petite facette "caoutchouc" dans le drydown de bois des îles, c'est ce qu'on reproche parfois à "Samsara", quelque chose comme du plastique brûlé et le latex.
Turin parle du "polysantol" de samsara, une note synthétique à l'odeur typique de "poterie cassée". Je mettais donc ces facettes désagréable sur le compte du polysantol.
Maintenant, après bois des îles, je ne sais plus si cette facette est du au santal naturel, ou si Polge a adjoint d'autre note santal à la composition.
J'irai re-sentir Angel. Moi aussi je ne peux pas m'avancer, nous sommes 2 amateurs, mais la question est intéressante, celle de pister la première apparition de l'accord patchouli cacao dans l'histoire de la parfumerie.
Enregistrer un commentaire