[Avis] Muscs Koublaï Khän - Serge Lutens


À une époque semble-t-il révolue, il était des parfums qui osaient lover, au cœur de leur bouquet floral, une dose d'animalité peu ou prou affirmée. Une animalité qui est aujourd'hui largement bannie des parfums de ces temps aseptisés: non seulement les matières d'origine animale sont à présent interdites dans la parfumerie, mais la consommatrice moyenne actuelle se récrierait d'horreur si elle sentait une touche de la civette ou du musc naturels qui étoffaient les fragrances de sa grand-mère.

Et même s'il existe encore, de nos jours, des parfums entièrement construits autour du musc, il s'agit souvent soit de muscs blancs, proprets et lessiviels, soit de compositions où l'on a cherché à mettre la matière en valeur, mais en limant soigneusement les griffes du fauve pour le rendre portable.

...à une exception près: Muscs Koublaï Khän, de Serge Lutens.

"MKK", pour les intimes, a été conçu comme un lointain hommage au Livre des merveilles de Marco Polo, récit de 1298 contant les aventures de l’explorateur et marchand vénitien, qui vécut des années à la cour du grand khan et empereur de Chine. Il évoque le palais du khan, son pavillon de contemplation fait de laques et de jade... mais surtout, il se veut mettre en scène la "complexité des sens dans leurs contradictions", dans "une aura ondoyante, sensuelle".

Et c'est bien là l'essence du message de l'extraordinaire MKK.


Composition: civette, castoréum, costus, ciste labdanum, ambre gris, rose du Maroc, graines d'ambrette, vanille, patchouli

Muscs, civette, castoréum, ambre gris? C'est là pratiquement toute la gamme des notes animales de la parfumerie qui se trouvent réunies. Et d'emblée, MKK est puissamment, incroyablement animal. Plus que Koubilaï Khan le magnifique, il m'évoque son grand-père, le conquérant, l'impitoyable Gengis. MKK est un fauve.

Comment même le décrire?

Dans sa première heure, il rappelle d'assez près l'odeur... de la ménagerie au cirque. La sueur des bêtes, la paille, le crottin, les animaux en rut: voilà MKK. On pourrait y déceler aussi une nuance qui rappelle le Crottin de Chavignol (!), mais ce sont d'abord et avant tout les fauves qui paradent, puissants et ostentatoires, sous les projecteurs.
Je dois bien avouer qu'à mon premier essai de MKK, cette odeur m'a laissée tout bonnement interdite, et à la limite du fou rire. Mettre une puanteur pareille en flacon, et la vendre comme parfum?!

Après cette première heure, pourtant, les facettes les plus crues de la cage aux lions s'estompent, et reste sur la peau une senteur... grisante. C'est là une véritable odeur de peau, corporelle, mais sublimée, sensuelle en diable, doucement lumineuse et feutrée. Le fauve s'est apaisé et ronronne languissamment sur l'épiderme...

Promesse tenue, donc: MKK s'est bien fait aura, ondoyante, souple et enivrante. On dépasse presque l'odorat pour passer dans la sensation pure, une sensation trouble et troublante, un indéniable appel à tous les sens - impression d'autant renforcée que le sillage, à ce moment, s'est fortement réduit, et il faut s'approcher tout près de la peau pour le sentir.

Tel que je le sens, et sur ma peau, MKK est donc un musc animal, sensuel et lumineux, à nul autre pareil. Mais l'anosmie aux muscs est très fréquente, variable selon les personnes, et il semble ainsi que les ressentis des uns et des autres divergent très largement. Certains parlent ainsi de musc propre et savonneux, d'autres sentent une rose affirmée, d'autres encore le sentent se sucrer au fil du temps. Autant dire qu'il est indispensable de le sentir sur la peau avant d'acheter!

Quoi qu'il en soit, Muscs Koublaï Khan est un parfum d'exception, dans tous les sens du terme. Rien n'y ressemble sur le marché. Il y a dans MKK une étincelle de l'Aura de Grenouille, cette senteur corporelle mise en flacon qui l'a finalement rendu irrésistible... autant dire qu'il est absolument à découvrir. Saluons donc le courage de Serge Lutens d'avoir choisi cette incroyable curiosité olfactive pour figurer temporairement dans la collection Export, largement disponible!



Maison: Serge Lutens (gamme exclusifs Salons et temporairement gamme export)
Créateur: Christopher Sheldrake et Serge Lutens
Année de création: 1998
Famille: oriental

Disponible: en Eau de Parfum, flacon 75 ml, uniquement aux Salons du Palais Royal Shiseido et en ligne sur le site des Salons (110 EUR); temporairement en vapo 50 ml (95 EUR), en parfumeries sélectionnées.



Images: Fragrantica, Wikipedia, Senteurs d'Ailleurs

13 commentaires:

Newyorker a dit…

Bonjour Six',
Heureux de vous lire enfin !!!
Je suis ravi que vous parliez de Muscs Koublaï Khän car je l'ai enfin acheté cette semaine. C'est incroyable de sentir de notes animales, fauves aujourd'hui dans un parfum et franchement, ca fait du bien. La première fois que je l'ai senti, il y a deux ans, j'ai été véritablement révulsé, aujourd'hui je l'adore.MKK est un des parfums les plus difficiles à manier et je sélectionne minutieusement les moments appropriés pour le porter. L'autre jour, je rendais visite à un amie et je venais de me parfumer avec MKK, sa réaction a été : "Ca sent la merde, on dirait que tu sors d'une écurie !". Hum... J'ai croisé par hasard cette même amie un autre jour en après midi et je m'étais parfumé le matin, sa réaction a été totalement différente,elle a adoré. L'évolution sur peau au fil des heures des parfums Lutens est en général assez incroyable et unique (certains deviennent méconnaissables) mais je pense que celui ci c'est le pompon ! Il faut vraiment leur laisser le temps de s'épanouir et de dévoiler toute leur beauté.

Rafaèle a dit…

Bonsoir Sixtine,

Je gardais un merveilleux souvenir de Muscs Koublaï Khan, senti au Palais-Royal, et neuf ans après sa découverte je m'en suis enfin fait rapporter un flacon. Déception ! J'ai d'abord pensé à une odeur de chèvre ! Je n'ai rien contre les biquettes mais bon ! Où était le musc suave que je me représentais ? Et puis le parfum a rapidement évolué en notes cuirées un peu énigmatiques mais élégantes, très "seventies". Je lui trouve en même temps des accents savonneux (mais de savon noir, alors)... Il sent aussi la peau humaine, le sébum !
C'est un bel étalon imprévisible et indocile...
Je le porte assez rarement et voici quelques semaines je l'ai vaporisé sur un top en coton. C'est bien le musc lacté de mon souvenir qui s'est accroché au textile et perdure à n'en plus finir. Il est enivrant...

PS : peux-tu me dire si Rahat Loukoum et La Petite Robe Noire de Guerlain ont un air de famille ?

Six' a dit…

Newyorker,

Voilà, de l'écurie à l'amour, nous avons eu la même réaction, semble-t-il! C'est vraiment un parfum extraordinaire...
Je n'avais jamais pensé à une évolution particulièrement variable des Lutens selon les peaux - bien que ça soit manifeste pour Fille en Aiguilles - mais je vais y faire attention maintenant! Pour MKK, cela doit jouer, mais j'ai vraiment l'impression que l'anosmie aux muscs doit vraiment avoir un impact aussi...
Merci à vous d'être passé ici!


Rafaèle,
Enivrant, c'est le mot! La première partie de ton commentaire m'a fait redouter une reformulation trop poussée, mais ouf, le fauve est donc bien fidèle à ton souvenir, au bout du compte!
Pour Rahät et LPRN, honnêtement, je trouve le Lutens beaucoup plus fin et raffiné que le Guerlain, qui joue sur le mode girly - girly plutôt sophistiqué, mais girly malgré tout. Je trouve un petit clin d'œil décadent dans Rahät, tandis que LPRN est une vraie confiserie hyperréaliste, sans toutefois être primaire... je ne sais pas si ça t'aide beaucoup!

Clermont a dit…

Bonjour,

Il semble de mauvais ton de dire qu'on est choqué de trouver encore de la civette (entre autres) dans les parfums mais je le suis et je suis étonnée qu'on puisse être ennivré par un texte quelque puisse être ses qualités formelles, lorsqu'il fait l'apologie des massacres d'animaux destinés à la parfumerie. Il est de coutume pour l'être humain de ne pas savoir se mettre à la place des autres, pensant occuper une place de choix sur terre et des meilleurs. Je n'ai rien à ajouter sinon que je salue le respect de l'auteur du blog et de ses admirateurs pour leur immense respect des êtres vivants...

Six' a dit…

Clermont,

Lorsque dans cet avis, je parle de "matières animales", entendons-nous bien: il ne s'agit pas de véritables produits tirés d'animaux. L'utilisation du musc du chevrotin est d'ailleurs rigoureusement interdite, et depuis longtemps.
La civette n'est pas encore mise à l'index (l'extraction de la substance n'entraînant pas la mort de l'animal), mais - l'économie de marché étant ce qu'elle est - son coût même fait en sorte qu'elle n'est plus utilisée qu'extrêmement rarement.

Je suis donc pratiquement certaine que chacune des matières "animales" de ce Muscs Koublaï Khan est un accord végétal/de synthèse pour en reconstituer l'odeur. Et j'admire le talent du parfumeur pour la précision de cette évocation artificielle, de même que le courage de Serge Lutens d'avoir voulu revenir à des senteurs autrefois populaires (lorsque les véritables matières animales étaient utilisées), mais aujourd'hui jugées choquantes parce que "sales".

À aucun moment ni moi, ni les amoureux de parfums qui viennent ici (et qui sont vraisemblablement au courant de l'abandon quasi-universel des véritables matières animales) n'avons fait l'apologie de la cruauté envers les animaux.

Je comprends votre inquiétude, et elle est louable, mais au niveau de la parfumerie, vous pouvez vous rassurer: les autorités réglementent de plus en plus la palette du parfumeur, par précaution et par éthique; l'industrie elle-même est terrifiée de tout ce qui pourrait écorner son image de marque, d'une part, et ne cesse de remplacer des ingrédients coûteux par des matières bon marché, de l'autre.

Tout cela entraîne une disparition pratiquement totale de la moindre trace de matière animale réelle dans les parfums.

clermont a dit…

JE vous remercie de votre réponse, ce n'était pas clairement exprimé dans le début de l'article qui prête à confusion. J'admire aussi beaucoup les fragrances de Serge Lutens et je me renseignais afin de savoir si elles n'avient pas coûté la vie à certains de nos collocataires terrestres.
L'industrie n'est pas si terrifiée que cela puisque tous les cosmétiques "courants" sont testés sur les animaux, ce qui ne fait que déplacer le problème, encore et toujours...

Merci en tous les cas pour la réponse. Je vais me rensigner par acquis de consience auprès de Serge Lutens.

Marjolaine.

Six' a dit…

Marjolaine,

En relisant le début de la note, je vois où effectivement, il pourrait y avoir confusion.

Il faut dire que je suis passionnée par les parfums, et j'écris, quelque part, avec toujours l'idée en tête que la majorité des gens qui passent ici sont eux aussi des aficionados, bien au fait du marché actuel du parfum. D'où l'impasse sur des explications qui seraient en fait sûrement nécessaires au visiteur occasionnel...

Et je ne peux parler que pour l'industrie du parfum elle-même, qui réglemente actuellement à tout va, je dois avouer que je ne connais pas du tout celle des cosmétiques, où les choses semblent en effet bien différentes.

Je comprends en tout cas votre souci, que je trouve vraiment tout à fait louable, je le répète. D'ailleurs, ce serait très gentil de me communiquer ce qu'on vous dira chez Lutens!

Merci à vous,
Sixtine

Six' a dit…

Errata - il semble que depuis ma dernière vérification, toutes les matières animales sont bel et bien interdites (voyez cet article de Sylvaine Delacourte, directrice du développement des parfums chez Guerlain, bien au fait des réglementations actuelles)

Anonyme a dit…

Oui, mais la civette est un musc que l'on obtient à partir des glandes anales de l'animal, on l'élève pour extraire cette substance que l'on pompe à partir de son anus. Je doute que ce mammifère n'en souffre pas... et personnellement, me retrouver avec une telle substance sur la peau, je trouve ça moins glamour, d'un coup...

Six' a dit…

Anonyme,

Effectivement, l'idée de s'étaler cette substance sur la peau est en elle-même peu ragoûtante. Mais on n'en utilisait qu'une infime quantité dans les parfums, ce n'était qu'à très petite dose qu'elle apportait une chaleur, sans submerger la fragrance de notes exagérément "animales"...

Enfin, puisqu'apparemment, elle est elle aussi interdite aujourd'hui, la question ne se pose plus...

Anonyme a dit…

Comme un animal, j'ai tourné autour de MKK, ayant longtemps porté Shalimar, je voulais innover, surprendre tout en restant dans les orientaux. Alors, j'ai testé les Lutens, je me suis arrêtée sur MKK, je l'ai "reniflé" à l'intérieur de mon bras, j'ai eu un mouvement de recul (trop fort pour moi !), je me suis éloignée mais je continuais à sentir cette odeur qui, je le sentais, se transformait subtilement ; j'ai "reniflé" de nouveau...et j'ai eu l'impression que cette odeur faisait corps, elle réveillait en moi un "basic instinct"...que j'ai vérifié le soir même auprès de mon homme !
Vous l'avez deviné, j'ai adopté MKK, depuis, il me colle à la peau, je me sens plus féline, plus sensuelle..Il a réveillé l'animal qui est en moi.
Merci Serge Lutens.

Julien a dit…

Ce parfum sent le dragibus.

Anonyme a dit…

Ahahahaha