[Vintage] Jean Patou, Ma Collection - III - Divine Folie, Normandie, Vacances



(premiers épisodes de l'histoire de Ma Collection de Jean Patou: I - II)


1933: si quelques petits signes de reprise économique se font sentir en France, la Crise fait toujours rage. Jean Patou lui a déjà fait un pied-de-nez éblouissant de panache en offrant à ses clientes américaines ruinées un parfum d'impératrice, l'exorbitant Joy. Ses fragrances suivantes auront aussi un goût d'antidote, comme Divine Folie qui, en plein marasme, célèbre le "goût de la fête et des plaisirs"...

Sur les douze parfums Ma Collection, Divine Folie est l'un de ceux qui a le moins d'ancrage historique, et il n'a d'ailleurs pas fait grand bruit en son temps. Ce qui ne signifie à vrai dire rien sur sa qualité...

S'il fait écho en tête à la gaîté acidulée d'Adieu Sagesse, avec une note verte et dansante de jacinthe, il l'ombre presque aussitôt d'un voile doucement épicé, un eugénol très présent (particulièrement dans l'extrait) avec ses accents caractéristiques d'œillet / girofle. Cet eugénol se tempère en cœur, posé sur un mélange poudré et encore sûret de fleur d'oranger et d'ambre délicatement sucré, cireux et sombre. Cette tonalité aigrelette se poursuit longtemps avant de mourir en fond, où c'est un chaleureux poudré-ambré, tout juste teinté de géranium, qui domine.

L'ensemble est curieux, un clair-obscur alliant une juvénile acidité à un cœur ombré et dense, presque huileux, qui rappelle Chaldée dans sa dimension cosmétique... il en partage d'ailleurs, mais en l'accentuant, l'aura de charme désuet.

L'exclusif Bois de Copaïba de la Parfumerie Générale en serait un - bien plus jeune - cousin, mais à la mode de Bretagne.

Composition: ylang-ylang, néroli, fleurs d'oranger, iris, vétiver, rose, jasmin (plus musc, vanille?)



Si Divine Folie ne capturait que des bribes de l'air du temps, Normandie, lui, est tout l'inverse: il joue tout à fait, et bien avant la lettre, la carte de l'événementiel. Cette création de 1935 a été conçue comme un parallèle au lancement du plus grand paquebot de l'époque, et du plus beau jamais construit, ce sommet de luxe et de raffinement baptisé... Normandie.

Le mercredi 29 mai 1935, à 18 heures précises, le paquebot appareille pour son voyage inaugural, Le Havre - Southampton - New York. Les passagères de première classe se voient offrir une charmante attention: une maquette numérotée du transatlantique, toujours conçue par l'architecte-décorateur Louis Süe, dans laquelle est glissée... un flacon de la fragrance éponyme, griffée Patou.

Normandie est décrit comme un ambré-fleuri, mais si cette structure est bien là, c'est plutôt sa tonalité savonneuse et surtout nettement métallique qui attire l'attention. Le départ se nimbe, comme pour nombre de ces anciens Patou, de l'œillet/girofle de l'eugénol. Mais bien vite, conjuguée à la rose et entourée d'un très léger nuage de poudre, la curieuse facette métallique s'affirme, sourde, creuse et tout juste amère, qui rappelle un peu la senteur des feuilles de géranium, accentuée, à mon nez, d'une pointe de galbanum et de vétiver.

La tonalité savonneuse-métal se poursuit longtemps, jusque dans les notes de fond qui se sucrent et se réchauffent d'une couche boisée, délicatement vanillée.

Normandie marque certes quelque peu son âge: l'infime touche de poudre, le côté savonneux sont autant de rides - mais sa colonne vertébrale fleurie-métallique interpelle, intrigue, puis bien vite fascine...

Composition: jasmin, rose, mousses méditerranéennes (plus œillet, opoponax, vanille, benjoin?)



1936. La Reprise s'amorce. Le Front populaire arrive au gouvernement, et avec lui bien des avancées sociales, dont cette formidable innovation: les congés payés!

La maison Patou partage l'enthousiasme général et crée un parfum de redécouverte de la nature, un parfum de pique-nique dans un parc par un beau jour d'avril. Son nom s'imposait de lui-même: Vacances.

Et Vacances est le plus ravissant fleuri vert qui soit, une brise printanière si délicate, si jeune, si tendre, qu'il est insensé qu'un tel bijou ait pu être retiré de la vente.

Son départ déconcerte, la verdeur du galbanum se découpant sur une note mi-herbe coupée, mi-aqueuse et végétale, qui rappelle l'eau trouble au fond d'un vase... mais bien vite, on remonte du vase au bouquet, et quel bouquet! C'est une merveilleuse brassée de lilas frais éclos dans laquelle se sont glissés de grandes grappes de jacinthe et quelques pompons de mimosa. Le vert feuillage, quelques gouttes de rosée complètent ce charmant tableau impressionniste. Vacances est un fleuri tout simple, où chaque note sonne juste. Il est l'air embaumé du printemps, les premiers pas pieds nus dans l'herbe tendre, les rayons de soleil timides dans un air encore frais. Il manque au français une expression adéquate pour transcrire l'anglais "heart-breakingly lovely": ravissant à vous briser le cœur. Rien ne s'appliquerait mieux à Vacances.

Le si beau lilas humide d'Olivia Giacobetti, En Passant, ne capture qu'une des facettes de cette merveille inexplicablement disparue.

Notes de tête: aubépine, galbanum, jacinthe
Notes de cœur: lilas, mimosa
Notes de fond: musc, bois (?)



Chez les discounters en ligne, Divine Folie est encore assez facile à trouver (en eau de toilette, parfois en extrait); Normandie est disponible ça et là, tandis que Vacances est l'un des deux plus rares sur les douze, et les prix sont généralement très élevés. Des miniatures de 6 ml des 12 fragrances apparaissent aussi régulièrement sur eBay. Une réédition modernisée du flacon-paquebot original de Normandie est sortie en 1986 (ou 89?), en édition limitée.



Test des rééditions de 1984 en eau de toilette, plus Divine Folie: test de l'extrait en réédition 1984.

Tous mes remerciements à Octavian pour ses précieux éclaircissements techniques et historiques et à Helg pour son enthousiasme communicatif sur ces beaux parfums.


Sources: brochure Ma Collection - Parfums d'Epoque 1925-1964, Interenchères, Perfumeshrine, Prodimarques.

Images: Robert Doisneau, les premiers congés payés, 1936 (Françoise Giroud); flacon de la réédition en extrait de Divine Folie (collection personnelle); Adolphe Mouron Cassandre, affiche pour le Normandie, 1935 (Wikipedia); flacon original numéroté de Normandie (Interenchères); flacon de la réédition en edt de Normandie (collection personnelle); flacon de la réédition en edt de Vacances (album de Margo sur Aromania.ru); réédition du flacon-maquette de Normandie (Prodimarques).

5 commentaires:

Anatole Lebreton a dit…

Merci pour cette passionnante et excellente série sur les parfums de Ma Collection. Vous les décrivez très bien et donnez envie d'en sentir plus. J'ai d'ailleurs suivi le conseil de ce cher Andy: testé et maintenant adopté Que sais-je (j'attends un flacon dégotté chez un discounter). Il est parfois difficile de se rendre compte de l'état des jus d'où l'intérêt de vos description.

Six' a dit…

Anatole,

Un tout grand merci! Je dois dire que ces Ma Collection m'enchantent, une telle concentration de qualité, c'est assez incroyable. Et ce Que Sais-Je?... tout pareil! (mais il m'a malheureusement coûté assez cher, aïe...)

Mon rêve maintenant est de dénicher un flacon de Vacances qui ne coûte pas un demi-loyer, mais dans l'état actuel des choses, ça me paraît plutôt compromis ;)

N'hésitez pas à repasser à l'occasion faire part de vos essais Patou-esques, je serais ravie d'avoir d'autres avis!

Louis Vuitton a dit…

Mon rêve maintenant est de dénicher un flacon de Vacances qui ne coûte pas un demi-loyer, mais dans l'état actuel des choses, ça me paraît plutôt compromis ;)

Six' a dit…

LV,

Hélas, je ne peux que confirmer!

Mais il suffit de changer de référent et pour un appartement parisien, un flacon ne coûterait plus ...qu'un quart de loyer! ;)))

Plus sérieusement, ce parfum-là mériterait entre tous la réédition. C'était vraiment un bijou...

Anonyme a dit…

bonjour
je possede un ancien flacon vacances avec bouchon noir
mon adresse mail
isabelle_bruno_2129@hotmail.fr
j ai mis ce flacon sur ebay