[Parlons parfums] Le mystérieux parfum de Fernande


Fernande à 25 ans (1906)
Interdiction formelle de penser à Brassens.
Quoique, qui sait, la chose aurait peut-être plu à la belle...

La Fernande dont il est question ici est l'un des visages - et des corps - les plus célèbres de l'art moderne.

Belle indolente, elle-même artiste bohème, mais surtout modèle, Fernande Olivier fréquente le Bateau-Lavoir et y rencontre Apollinaire, Van Dongen et Picasso, dont elle sera la compagne pendant sept ans. Un Picasso qui la peindra à de très nombreuses reprises, qui la prendra pour modèle dans ses premiers portraits et bustes cubistes, et l'immortalisera sous la forme d'une des Demoiselles d'Avignon. Un Picasso qu'elle quittera pourtant plus tard pour un jeune Futuriste italien...

Dans son autobiographie, l'auteure américaine Gertrude Stein, grande amie du couple Picasso, relate comment Fernande, flambeuse, se trouve vouloir gagner sa vie en donnant des leçons de français:

Fernande came quite promptly to the appointment and we proceeded to our lesson. Of course to have a lesson in french one has to converse and Fernande had three subjects, hats, we had not much more to say about hats, perfumes, we had something to say about perfumes. Perfumes were Fernande's really great extravagance, she was the scandal of Montmartre because she had once bought a bottle of perfume named Smoke and had paid eighty francs for it at that time sixteen dollars and it had no scent but such wonderful colour, like real bottled liquid smoke.
(traduction du sens du texte, dans un style approximatif:)
Fernande vint fort rapidement au rendez-vous et nous commençâmes notre leçon. Bien sûr pour donner une leçon de français il faut parler et Fernande avait trois sujets de conversation, les chapeaux, nous n'avions plus grand chose à dire sur les chapeaux, les parfums, nous avions quelque chose à dire sur les parfums. Les parfums étaient le vrai grand luxe de Fernande, elle faisait scandale à Montmartre parce qu'elle avait un jour acheté un flacon d'un parfum appelé Smoke/Fumée et l'avait payé quatre-vingt francs soit à l'époque seize dollars et il ne sentait rien mais il avait une merveilleuse couleur, comme de la vraie fumée liquide en flacon.

Quel pouvait donc être ce fameux parfum qui avait tant choqué à Montmartre? Et s'appelait-il d'ailleurs Smoke, ou Fumée? Sous l'un ou l'autre nom, je n'en ai trouvé aucune trace qui corresponde chez les grands parfumeurs, là où, vu son prix apparemment extravagant, on se serait attendu à le trouver.

Sa description laisse d'ailleurs dubitatif: un parfum "qui a la couleur de la fumée" laisse imaginer une suspension grisâtre trouble, qui serait donc plus probablement une expérimentation artisanale. Et s'il ne sentait rien... anosmie de Mme Stein, ou enjolivement littéraire? Peut-être, même, l'anecdote est-elle inventée de toutes pièces...

En attendant de percer, un jour peut-être, le mystère de Smoke/Fumée, je me demande ce que cette perfumista avant la lettre de Fernande aurait pensé de son exacte antithèse, un parfum qui n'a pas beaucoup de couleur, mais qui a une merveilleuse senteur, comme de la vraie fumée liquide en flacon... si vous suivez régulièrement ces lignes, vous aurez vite deviné de quelle merveille je parle.



Texte complet de The Autobiography of Alice B. Toklas par Gertrude Stein: disponible en ligne. Plus sur Fernande: début de l'article Picasso: Creator and Destroyer.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Si ce Fumée-Smoke existe, j'achète!!!
J'ai trouvé un Smoke et un Fumée (l'un de Lenthéric et l'autre de Lubin), mais ils datent tous deux des années 30, donc chronologiquement, ça coince...
(Xavier)

Anonyme a dit…

Belle idée de vous être intéressée à cette capiteuse Fernande... Elle aurait sûrement porté Serge noire ou Encens flamboyant.

Six' a dit…

X,

Eh bien, tes recherches auront été plus fructueuses que les miennes! Mais vu ton inventaire, pas étonnant ;)

Bon, effectivement, chronologiquement on n'y est pas - et je dois dire que je ne connais pas bien le "statut" de ces deux maisons à l'époque, ça aurait été des parfums hors de prix, tu penses?

En tout cas, ce "real bottled liquid smoke" me fait rêver...

Six' a dit…

Anonyme,

Merci! C'est vrai que ces deux parfums correspondraient aussi beaucoup à cette idée de fumée en flacon (et incidemment, je les adore et les porte tous les deux!).

En fait, pour l'époque, cette idée de parfum-fumée semble incroyablement avant-gardiste... mais rien d'étonnant dans ce milieu!

Merci de votre visite!