[Parlons parfums] Grand Prix du Parfum 2010: l'heure attendue



C'était un événement dans le petit monde de la parfumerie.
Le Grand Prix du Parfum (anciens "Fifi Awards") de la Fragrance Foundation, volet France, faisait peau neuve pour son édition 2010.

Fini, le vote en circuit fermé par les marques elles-mêmes: cette fois, c'est le grand public qui a été l'arbitre, par un vote ouvert, accessible sur Internet, pour la majorité des catégories.

Sont venus s'y ajouter deux nouveaux prix spécifiques: le Prix des Parfumeurs (un jury de créateurs de parfums devait élire celui qui était, à leur avis, le meilleur lancement de 2009) et le Prix des Spécialistes (au jury composé d'évaluateurs, de journalistes spécialisés et de blogueurs), pour lequel la présélection était limitée aux parfums en distribution sélective (niche).

Avec mes collègues blogueurs Denyse de Grain de Musc, Méchant Loup d'Olfactorum et Juliette de Poivre Bleu, j'ai eu l'honneur d'être invitée à faire partie de ce dernier jury.

Et les débats ont été un vrai bonheur.
Deux heures de discussions à bâtons rompus entre passionnés et professionnels, sans langue de bois aucune - changement rafraîchissant, quand l'inverse est souvent de règle dans l'industrie. Les différences d'approche étaient sensibles: le langage généralement plus imagé, plus synesthétique des blogueurs, raisonnant plutôt en termes de parfumerie d'auteur, face à la précision technique sans faille des évaluateurs, habitués à juger objectivement les qualités d'un produit. Révélation, que de voir des professionnels avoir des opinions opposées sur un même parfum. Nouvelles perceptions, nouvel éclairage nés de la confrontation des avis des uns et des autres sur une fragrance (effectivement, tel hespéridé que je jugeais "gentil" est bien, en fait, un joli tour de force techniquement parlant....). Et quelle jubilation, quand on est simple amateur doutant de ses jugements, d'entendre un professionnel crucifier d'un "il est chiant!" un parfum prestigieux qu'in petto, on trouvait soi-même... chiant.

Unanimité presque générale, enfin, sur quelques parfums puissants, originaux, pleins d'âme.

Celui qui avait mon vote enthousiaste a fini par l'emporter, plébiscité par pratiquement tout le jury: La Treizième Heure, la merveilleuse, l'incomparable Treizième Heure de Cartier, concrétisation d'une formule que Mathilde Laurent portait apparemment en elle depuis des années.
Aux places d'honneur, les excellents Géranium pour Monsieur de Dominique Ropion pour les Editions Frédéric Malle, et Dover Street Market de Comme des Garçons.

Fil conducteur tacite, mais bien présent, au fil des débats: le respect réel, palpable, pour le travail des compositeurs de parfums. Quels que soient les défauts qu'on a pu trouver à leur dernier opus. Et en parfaite conscience des limitations énormes qui pèsent aujourd'hui plus que jamais sur leur créativité, que ce soit en termes de coûts de formule, de restriction de plus en plus sévère de leur palette, ou d'obligation de produire un dénominateur commun qui plaira en masse à coup sûr, sans sortir des sentiers battus.

Voilà pour le Prix des Spécialistes.
Le palmarès complet a été dévoilé dans la soirée du 8 avril, en présence de nombreux parfumeurs, professionnels et autres grandes figures de l'industrie.


Au centre: Mathilde Laurent recevant le Prix des Spécialistes, entourée de
Catherine Disdet (g) et de Nathalie Pichard (d) de la Fragrance Foundation France


L'autre nouvelle catégorie instaurée cette année, donc, était le Prix des Parfumeurs.
Verdict?
...La Treizième Heure.
En d'autres termes, un plébiscite. Et ô combien mérité.

Toutes les autres catégories, à l'exception du Prix de la rédaction de Marie Claire (la très belle Eau de Gentiane Blanche d'Hermès), avaient été décidées par vote populaire. Et les résultats sont parlants. Très parlants.

Meilleur féminin? Ricci Ricci. Alors que A Scent, L'Eau Ambrée et les deux nouvelles colognes d'Hermès, Gentiane et Pamplemousse, étaient sur les rangs.
Les perfumistas ont beau jeter les hauts cris sur les fleuris-fruités-patchouli diabétogènes, il semble manifeste, à en croire ce vote (comme d'ailleurs leur omniprésence dans les rayons) que c'est pourtant exactement ce que demande le grand public.

Notons la belle performance, côté masculin, de l'outsider Jamais le Dimanche, de la nouvelle marque Ego Facto.

Meilleurs flacons? Côté féminin, Ricci Ricci encore, avec son ruban rose (face à la sobre pureté d'A Scent et à l'intéressant effet métal d'Essence). Rayon masculin, l'invraisemblable poing serré rapoïde d'Only the Brave, il est vrai marquant.

Le médium choisi - Internet - a probablement dû attirer un public plus jeune; le prix des lectrices de Marie Claire a d'ailleurs, lui, récompensé Idylle.

Mais, vraiment, Ricci Ricci, Only the Brave?
Le fossé apparaît soudain énorme entre les perfumistas, petit cercle d'amoureux, de fanatiques du parfum, qui parlent d'art, qui recherchent les senteurs construites, parfois inhabituelles, escarpées, et le grand public, celui qui a la puissance commerciale et donne ainsi le ton au marché, et qui a, lui, juste envie de... sentir bon, avec des odeurs gourmandes, simples, d'abord facile. La jeune adulte d'aujourd'hui - principale cible commerciale, à en croire le calibrage des publicités - a manifestement envie d'exhaler un sillage de confiserie. Et tant que ce sera le cas, le marché du parfum ne risque pas de changer.

Au moins, ces deux nouveaux prix auront montré, et à plus forte raison par leur choix convergent, qu'une autre parfumerie existait bel et bien... mais hélas pas au même tarif. En tout cas, si vous en avez l'occasion, allez sentir cette Treizième Heure: elle vaut mille fois la peine d'être découverte.




Merci à la Fragrance Foundation France de m'avoir offert cette merveilleuse opportunité et d'avoir donné la parole aux blogs!
Comptes-rendus de mes co-jurés: sur Grain de Musc, Olfactorum et Poivre Bleu.



3 commentaires:

Grain de Musc a dit…

Sixtine, ajoutons qu'en plus ce jury nous aura donné le plaisir de nous rencontrer en vrai!

J'ai pu aujourd'hui mesurer le fossé entre pros et passionnés, et un échantillon public pourtant pas si ignare que ça, puisqu'il s'agissait de quatre messieurs rencontrés dans un cadre professionnel, dont un porte Vétiver Tonka, et un autre L'Homme de Coeur (que je lui avais suggéré): verdict unanime, La Treizième Heure, que je leur agitais sous le nez triomphalement, les a surtout... déconcertés.
"Mais... ça sent la fumée?"
Comme quoi...

Six' a dit…

D,

Tout à fait, et ça allait sans dire!

Ce que tu me dis me... ahlala... Justement, je trouvais que la Treizième Heure était finalement assez accessible, "portable", dans toute son originalité; elle me rappelait au départ le Patchouli 24 du Labo, mais à la comparaison côte à côte, elle est beaucoup plus équilibrée, harmonieuse. Et je la sens plus Lapsang que fumée franche... C'est vraiment curieux.
Remarque, on s'est peut-être tellement recalibré les narines à coups de bizarreries qu'on ne se rend même plus compte de l'étrangeté des jus? ;)

Jicky et Phoebus a dit…

J'aimerais bien assister à ce Grand Prix perso la prochaine fois ! On peut venir ou pas (en tant que public, ou même (attention) en statut de "blogueur" ?)

Bises ;)