"A ton avis, quel parfum il aurait pu porter, Andy?" demandai-je récemment à un ami fan de Warhol.
En réalité - l'anecdote est fameuse - le pop-artiste a été inhumé avec un flacon de Beautiful d'Estée Lauder, mais en l'occurrence, je cherchais plus précisément un équivalent olfactif du style personnel de Warhol, de l'image qu'il se plaisait à projeter.
Mon ami n'a pas hésité longtemps: "Un Comme des Garçons, série Synthetic".
Je m'étais dit à peu près la même chose. Pourtant, si les capsules de senteurs urbaines de la marque japonaise reflètent effectivement le côté entrepôt-chic de la Factory, tout le dandysme de son timonier en est absent.
Il est par contre un parfum qui concilie parfaitement ces deux facettes warholiennes: recto urbain, verso dandy, voici Black, de Bvlgari.
Il est par contre un parfum qui concilie parfaitement ces deux facettes warholiennes: recto urbain, verso dandy, voici Black, de Bvlgari.
Avec son disque épais de caoutchouc noir qui lui donne de faux airs de pneu, le flacon de Black donne le ton: ceci n'est pas un parfum ordinaire.
Il s'agissait de créer une fragrance novatrice qui évoque un environnement urbain moderne, l'esprit même des mégalopoles... et la si talentueuse Annick Ménardo (Hypnotic Poison, Lolita Lempicka éponyme) a relevé le défi avec brio. Elle a abandonné pour l'occasion la traditionnelle structure en pyramide, et la composition s'offre donc entière dès le départ, monolithique, n'évolue plus guère ensuite.
Le côté urbain? Ce sera une note vinyle, caoutchouc, cuirée, pneu - mais pour moi, pas "pneu brûlé" comme je l'ai souvent lu: rien ici ne prend à la gorge; je trouve plutôt à cet accord le côté satiné, légèrement poudré-anisé du vinyle neuf, sans la moindre âcreté. Point non plus, à mon nez, de la tonalité fumée qu'on aurait pu attendre du Lapsang Souchong promis, même si de légers arômes de thé noir se devinent...
Du vinyle, donc. Pour compenser l'effet si déroutant de cette note dans un parfum, Annick Ménardo a judicieusement équilibré sa composition en l'entourant d'un épais nuage de muscs blancs cotonneux, posé sur un ambre translucide joliment sucré-vanillé, juste effleuré de coumarine avec ses accents de foin doux.
Résultat?
Black, à la fois résolument étrange et parfaitement confortable, vous prend des allures de néo-fougère. Et il est si parfaitement conçu que ce mariage sophistiqué de vinyle-musc-vanille, qui paraissait contre nature sur le papier, semble au contraire tout naturel, évident, même, dès qu'on le vaporise. Ou quand l'art se dissimule à force d'art... je crois qu'Andy aurait apprécié.
Composition: thé Lapsang Souchong, gomme, résine, ambre [et/ou, selon les sources: bergamote, notes vertes, jasmin, cèdre, santal, cuir, musc, vanille] |
Maison: Bvlgari Créateur: Annick Ménardo Année de création: 1998 Famille: oriental-boisé Disponible en Eau de Toilette, vapo 40 ml (? EUR) et 75 ml (63 EUR); un déodorant coordonné est disponible. Officiellement toujours en production et distribué en parfumeries classiques (rayon masculin), mais souvent difficile à trouver. Largement disponible chez les discounters en ligne. |
[impression personnelle] tenue ++- sillage +-- (à vaporiser abondamment pour avoir un sillage) |
Images: flacon (via Sephora); Andy Warhol , photo de Robert Mapplethorpe, argentique, 1986, National Gallery of Australia (via site de la Nationa Gallery of Australia)
5 commentaires:
En vous lisant je me disais que j'aurai bien vu Warhol avec un truc du genre Daisy, alors Beautiful ça ne m'étonne pas.
Le lien avec Black m'est ensuite apparu comme une illumination: Black et Warhol pour moi c'est la factory et le Velvet Underground, Lou Reed et John Cale, Paul Morissey qui danse en claquant son fouet.. rock, underground, érotique, cuir.
Tout à fait Black, un parfum mutant, je ne le porte pas souvent mais c'est un indispensable; J'aime son pneu vanillé avec des accents de roses à la Tocade, point de thé fumé non plus pour moi. Étrange et confortable exactement. C'est rare qu'un parfum mainstream me mette autant en joie, je le trouve rassurant et je me dis parfois qu'en d'autres temps on aurai brulé Annick Menardo pour sorcellerie.
Anatole,
Il y a effectivement aussi toute cette facette, mais je la gardais pour, hm, la bonne bouche, sans référence aucune à certain film... ;)
Mais plus généralement, même, je trouvais que l'atmosphère usine/garage de la Factory, glamourisée par l'argenté, trouvait un certain parallèle ici avec le vinyle dandifié par le musc-vanille...
Ce Black, c'est extraordinaire, comment il concilie l'étrangeté et le portable, hein? C'est un vrai tour de force, et je trouve aussi que c'est une des plus remarquables compositions d'Annick Menardo.
Extraordinaire, aussi, qu'une telle composition soit sortie en mainstream - l'époque le permettait plus qu'aujourd'hui, où un lancement de ce calibre serait impensable, je le crains. J'avoue que je m'étonne que Black soit toujours produit. Je suppose que ceux qui sont tombés sous son charme - mais je ne les imagine pas nombreux - lui restent fidèles. Un classique tranquille, en somme...
Reste à espérer que l'homme de goût laisse le Bleu sur les rayons pour se réintéresser au noir!
Quelle spéciale bouteille ?!
Et quelle belle description...
Gridou,
Merci!
Et oui, le flacon est vraiment spécial... j'aime beaucoup ce que Thierry de Baschmakoff a réalisé pour Bvlgari (le flacon des Omnia, c'est lui aussi), c'est original et en belle adéquation avec le jus, particulièrement pour Black. Ceci dit, j'avoue avoir déjà démoli un testeur en cherchant comment il marchait! ;)
J'ai fini par craquer : je suis en train de le décanter. Tu sais que tu as une mauvaise influence sur moi ?
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