Mona di Orio a été l'élève du grand Edmond Roudnitska. Si, à première vue, je ne trouve pas vraiment de parenté entre leurs styles, une chose est par contre sûre: ses compositions s'inscrivent bien dans la tradition classique de la parfumerie à la française. Par leurs notes animalisées récurrentes, oui, mais surtout par cette épaisseur de matière, cette densité, cette onctuosité, même, qui étaient en vogue il y a plusieurs décennies, mais ont fait largement place depuis à des structures nettement plus light... de l'anti-Ellena, en somme.
Avec ce triptyque de nouveautés, trois interprétations de notes/accords archi-classiques de la parfumerie - ambre, cuir, musc - la tradition est donc mise au carré. Quoi de plus logique, finalement, pour une collection baptisée "Les Nombres d'Or"? Je ne sais dans quelle mesure Mona di Orio a effectivement mis à l'œuvre dans ces formules la fameuse proportion parfaite, ou s'il s'agit juste d'une jolie appellation... mais son Musc est en tout cas un bel exercice d'harmonie, d'un équilibre paisible et doucement mélodieux.
Connaissant la propension de la dame à puiser allègrement dans le registre des notes animalisées, je m'attendais à ce que Musc soit d'un calibre à faire passer le fameux Muscs Koublaï Khän de Lutens pour une pudique jouvencelle... mais c'est tout l'inverse: la composition n'a gardé que le musc, sans l'entourer de la civette et autres notes aux relents de ménagerie qui entrent dans la formule des grands fauves de la parfumerie. Et le musc, seul, peut se montrer doux, lumineux, tendre même... autant d'adjectifs qui pourraient s'appliquer à cette composition tout entière.
Comme souvent avec Mona di Orio, les notes de tête désarçonnent un peu. Celles-ci mêlent aux premières notes de musc, clair et lumineux, très légèrement fruité, une amertume d'abord vive, d'un vert sombre et tranchant qui rappelle le vétiver. A s'y arrêter, on y distingue mieux le néroli, à la fine amertume hespéridée, et l'angélique, verte et particulière. L'impression d'ensemble qui s'en dégage est compacte, mi-crémeuse mi-cireuse: cette amertume végétale se mêle à une puissante senteur balsamique d'épiderme cosmétiqué. Vient s'ajouter assez vite à cet accord couleur chair une petite note qui rappelle les aldéhydes, avec leur côté "fer à repasser" et leurs menus accents d'écorce d'orange.
Passé cet abord un peu ardu, Musc se fait plus accessible, moins inhabituel, peut-être, mais d'une beauté caressante qui vous enlace. Dans un long fondu-enchaîné, l'amertume s'allège, les notes pressing s'évaporent, tandis que s'affirme lentement un ample nuage parme d'héliotropine, très douce, qui semble hésiter plusieurs heures durant entre le mimosa et le lilas, effleurés d'un soupir d'amande. Satiné, légèrement poudré, un peu crème de jour, le chœur suave d'héliotrope et d'épiderme baumé se poursuit longtemps, chatoie de nuances anisées, d'un pétale de rose... avec, toujours, cette tonalité cireuse d'un musc lumineux qui murmure en arrière-plan, et empêche la fragrance de tomber dans l'innocent ou le régressif, comme souvent avec l'héliotrope. Ce n'est qu'en fin d'une tenue d'ailleurs absolument remarquable pour une eau de toilette que Musc se sucre réellement, pour finir sur un fond héliotropine-vanillé malheureusement un peu plat.
Mona di Orio avait déjà baptisé "Carnation" un précédent parfum, pour son évocation d'un boudoir, d'une peau baignée de soleil.
Plus que le simple "Musc" qui fait croire à un solinote, le présent tome des Nombres d'Or, avec sa composition rétro et raffinée qui mêle la tendresse de l'héliotrope à ces accents subtils mais soutenus d'épiderme, aurait pu s'appeler... Cuisse de nymphe?
Notes de tête: néroli, angélique Notes de cœur: rose, héliotrope Notes de fond: absolu fève tonka, muscs |
Maison: Mona di Orio Créateur: Mona di Orio Année de création: 2010 Famille: floral-musc Disponible en Eau de Toilette, vapo 100 ml (110 EUR). En cours de lancement, en points de vente sélectionnés (notamment: à sentir à Paris chez Marie-Antoinette; disponible à Bruxelles chez Senteurs d'Ailleurs et en ligne sur Première Avenue). |
[impression personnelle] tenue +++ sillage ++- |
Images: flacon (via Mona di Orio); photo David Hamilton, in The Age of Innocence (via Digigraphie)
4 commentaires:
Je l'ai senti il y a un bout de temps maintenant, mais je l'avais trouvé exquis moi aussi, avec le miracle de réussir à me faire apprécier l'accord musc-rose qui me rebute habituellement.
Méryt,
Je me demande si ce n'est pas parce que cette rose, ici, est justement très baumée? J'ai vraiment l'impression d'une senteur cosmétiquée, un peu dans le sens de Lipstick Rose ou Ombre Rose, mais en nettement moins marqué... sinon, comme toi, la rose, en général, borf. Mais ici, enrobée d'héliotrope, elle est apprivoisée...
En tout cas, je l'aime vraiment beaucoup, ce Musc! Et j'attends de mieux connaître les deux autres...
Hi Six', nice review! Generally I prefer more animalic muscs (like MKK, f.e.) but I loved this one, too. It's an exercise around delicacy and subtleness, I think. An exercise she performed very well! Look forward to reading your reviews of the other two in the new line...
M,
Great to see you here!
I was also so very surprised by this scent; as I said, I was expecting from la Mona something like an über-MKK, certainly not this lovely, delicate heliotrope...
I just sniffed the other two some time ago, still waiting to test them further... your previews did me in! ;)
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