[Lectures] The Little Book of Perfumes - Luca Turin & Tania Sanchez





"Ils" sont donc de retour?
Oui... et non.

Avec leur Perfumes: the Guide, Luca Turin, biophysicien partisan de la théorie vibratoire de l'olfaction, et Tania Sanchez, perfumista de longue date, avaient frappé un grand coup en 2008 dans le monde anglophone du parfum. Plus d'un millier de critiques de parfums les plus divers, des plus illustres (et il faut du courage pour s'attaquer au N°5!) aux plus modestes (Yves Rocher est là, cum laude), en passant par les blockbusters de Séphonnaud, sans oublier bien des références qui ne seront connues que des plus pointus des amateurs (la gamme S-Perfumes, par exemple).

Leitmotiv? Une plume acérée, parfois trempée dans le vitriol (la pauvre Mona di Orio n'en méritait vraiment pas tant), mais souvent parfaitement jubilatoire.
La subjectivité est totale et revendiquée - et le lecteur de se demander parfois s'il a bien senti le même parfum que les auteurs, qui crucifient de trois mots acerbes telle fragrance qu'on trouve exquise (je ne vais pas commencer de liste ici, ce serait trop long (!)), ou portent au contraire aux nues un jus unanimement jugé insipide (qui a fini par comprendre ce qu'ils trouvaient à Beyond Paradise ou à Tommy Girl?).

Qu'on soit dans l'ensemble plutôt d'accord avec eux ou pas, pourtant, on leur passerait tout. Parce que s'il y a une chose - deux, même - qui brille(nt) dans ces pages, c'est l'étourdissante érudition des auteurs sur la chose parfumée, des molécules utilisées à l'histoire de la parfumerie, sans compter les anecdotes confiées par les créateurs eux-mêmes. Et un amour réel, palpable, profond, pour l'art olfactif.

Le Guide avait reçu des mises à jour saisonnières sous format .pdf, avant de connaître une réédition papier: Perfumes, the A-Z guide est paru en 2009, enrichi de 453 critiques supplémentaires.

Depuis... rien. Les auteurs avaient annoncé tourner la page, pour de bon. Et on devine qu'ils ont dû se faire prier avant de s'atteler à ce digest. Parce que The Little Book of Perfumes - The 100 Classics est précisément cela: un recueil des 96 parfums les mieux notés dans les deux livres précédents,  reprenant donc les critiques déjà publiées.




S'il n'y a pas de nouveaux parfums (aucun lancement post-2009), un gros tiers des critiques reprises sont enrichies d'un addendum plus ou moins bref, pour commenter l'état actuel de la fragrance. Et c'est ce qui fait tout l'intérêt du Little Book pour les possesseurs des éditions précédentes...

Là encore, on pourra ne pas être d'accord (je trouve que la nouvelle mouture d'Opium méritait bien plus de sévérité que ce laconique "Weaker, thinner and flatter"), mais que les auteurs nous annoncent des améliorations dans la formule, c'est une chose qu'on n'entend pas souvent ces derniers temps! Ainsi, Habit Rouge, Cristalle ou Shalimar auraient changé pour le mieux, de même que Poison (dans ce dernier cas, après vérification en Séphonnaud, permettez-moi juste de protester officiellement). Dans les statu quo, Mitsouko est jugé "still lovely", et Après l'Ondée se porterait fort bien (je... juste, non).

Mais pour la majorité, pas de surprise, la reformulation n'a pas été dans le bon sens. L'Heure Bleue semble avoir particulièrement souffert, mais le ton est plutôt à l'"un peu moins bon", qui affecte même les joyaux Lutens, Bois de Violette et Iris Silver Mist. Le fond du problème est connu, il suffit de lire la mise à jour de la notice du N°5 version extrait: "(...) IFRA are a bunch of traitors". Je n'aurais pas dit mieux.

96 critiques reprises, donc. Et pour faire un compte rond, nous avons droit à quatre critiques supplémentaires, et pas des moindres: L'Origan, Le Chypre et Emeraude de Coty, et Iris Gris de Jacques Fath, soit quatre grands parfums mythiques disparus, qui peuvent être découverts à l'Osmothèque.

Pour qui a déjà l'une ou l'autre des éditions précédentes du Guide, The Little Book sera probablement dispensable, le nouveau contenu restant très limité... à moins d'être aficionado de la plume du Dr Turin (je plaide coupable).
Pour les autres, cette version écrémée et actualisée peut être un bon choix.... si vous préférez les best-of aux albums complets.



Séance de questions-réponses avec Luca Turin et Tania Sanchez à l'occasion de la sortie du livre: sur Now Smell This.


Note: il existe deux éditions du livre, l'une britannique (en haut), l'autre américaine (à droite). Les couvertures et les titres divergent, mais le contenu est identique. 
Luca Turin & Tania Sanchez, The Little Book of Perfumes. The 100 Classics, 2011, Profile Books, Londres (107 p., 9.99 GBP) pour l'édition britannique;
Luca Turin & Tania Sanchez, The Little Book of Perfumes. The Hundred Classics, 2011, Viking Adult, New York (128 p., 18 USD) pour l'édition américaine.



12 commentaires:

Jean-David a dit…

Sixtine, vous trouvez donc qu'Après l'ondée a souffert ? Je ne connais que la formulation actuelle ; pourriez-vous nous dire en quel sens ce parfum a perdu en qualité ?

Anonyme a dit…

C'est peu dire que Mona di Orio n'en méritait pas tant...en réalité, la critique de Luca Turin était tout à fait injuste et sa sincérité pose question, non ? (notamment, le milieu de la "niche" est minuscule, et Mona di Orio semblait clairement réfuter la théorie "vibratoire" de Turin et on peut légitimement se poser la question, quand on a pris le temps d'essayer les parfums Mona di Orio, de ce qui a réellement motivé une position si grotesque). Je veux bien cependant laisser le bénéfice du doute à Turin...mais rien que pour cela, il n'apparaît plus depuis longtemps à mes yeux comme le "Dieu" de la critique. Détester les Mona di Orio tout en adorant le Tommy Girl, il y a comme un problème. Merci cependant de nous tenir informé des sorties de bouquins sur le parfum (même si je n'achèterai pas celui-là !).

Andrea

Six' a dit…

Jean-David,

Je suis allée ressentir la dernière mouture d'AlO hier pour ne pas dire n'importe quoi ;)

Alors, par rapport à une version d'il y a trois ans à peine, je le trouve beaucoup plus iris, avec un effet plus froid et plus aqueux, tandis que la version encore vendue dans les boîtes noir et or (au lieu du marron glacé actuel) avait un côté héliotrope nettement plus soutenu.

Entendons-nous bien, la version actuelle reste un très, très beau parfum, mais il a déjà beaucoup moins à dire que le précédent...

Je ne dirai rien des versions vintage, sinon je vais pleurer.
Ou... si? Dans les années 80, au bouquet iris-héliotrope s'ajoutait une grande brassée de mimosas. Et ce parfum-là était beau à pleurer. Sans comparaison avec l'actuel, et c'est une honte absolue qu'il ait disparu.
Évidemment - refrain habituel - l'IFRA est passée par là, il n'aurait tout simplement pas pu survivre en l'état. Hélas.

Six' a dit…

Andrea,

C'est vraiment ce qui m'avait fait tiquer à la sortie du premier Guide. Une critique aussi acerbe et aussi systématique, ça m'avait paru plutôt étrange, à tout le moins. Je ne connais pas aussi bien que je le souhaiterais le travail de Mona di Orio (difficile d'accès dans mon trou, hélas), mais le peu que j'ai pu sentir m'a au contraire paru remarquable. Et toute question de goût mise à part, je vois mal comment, sur le plan strictement technique, des reproches aussi virulents seraient justifiés.
Évidemment, si c'est autre chose qui est en jeu derrière... hm.

Merci à vous d'être passé(e?) ici!

Anonyme a dit…

Moi j'aimerais bien mettre la main sur le Guide 2008-2009 traduit en français et qui était référencé au catalogue de City Editions, mais dont personne ne trouve trace, à croire qu'il n'est jamais sorti.
Quelqu'un aurait-il une info ?
Philippe

Jean-David a dit…

Merci, chère Sixtine, de votre réponse. Effectivement, la lecture de votre critique d'Après l'ondée et la référence à Debussy m'avaient fait rêver... et je ne peux pas dire avoir trouvé une émotion correspondante dans le parfum vendu aujourd'hui sous ce titre, quoique je l'apprécie. Je trouve en lui un iris, beau et froid, mais pas ces nuances impressionnistes que j'attendais, ni une réelle concordance avec le titre.

Anonyme a dit…

En 2009 Luca Turin avait degrade la note du No.5; un ambre aldehyde, pas de notes florales ni poudrees et c'est exactement ce que j'ai senti recemment dans un grand magasin de New York lors. Le 5 retrouve ses cinq etoiles dans l'edition 2011, j'aimerais savoir ou ils ont trouve leur flacon.

Pourquoi L'Heure Bleue figure toujours dans le top 10 des meilleurs feminins alors que Tania Sanchez interrogee sur le blog Now Smell This, estime que ce parfum est mort?

Enfin, ils auraient pu retester tous les parfums cites, tomber une fois sur deux sur "sample 2007" c'est vraiment decevant.


Emma

Six' a dit…

Philippe,

Alors là... il y a bien eu des rumeurs de traduction en français de la première édition du Guide, mais je ne pense pas que la chose ait jamais été concrétisée plus avant...

En plus, si je peux avancer une simple supposition, Luca Turin étant parfait francophone, j'imagine qu'il aurait voulu prendre en charge la VF lui-même, ou du moins la suivre de près. Or là, il n'a clairement plus envie de s'occuper du tout de parfumerie ces temps-ci... donc, wait and see, j'imagine, mais s'il n'y a pas eu concrétisation depuis qu'il est question de cette traduction, je doute à ce point qu'elle voie le jour.

Merci de votre passage!

carmencanada /Grain de Musc a dit…

Petite précision sur la traduction française: Luca Turin ne s'en est pas chargé, mais aux dernières nouvelles, la version réalisée par l'éditeur français était d'une qualité si médiocre qu'il n'a pas été jugé bon de la publier.

Six' a dit…

Emma,

D'accord avec vous. Ce digest sent plus la demande de l'éditeur que le réel souhait d'apporter quelque chose... d'autant qu'il me semble avoir lu dans une interview que LT et TS n'avaient pas eu le temps, matériellement, de tout retester, because sortie du livre obligatoire avant les fêtes. La dure loi commerciale...

Six' a dit…

D,

Ah! Mystère élucidé, merci.
Alors que ç'aurait été si simple de faire appel à des traductrices perfumistas.... ;))

Anonyme a dit…

Luca Turin toujours grand specialiste des piques bien populo-graveleuses; tel parfum masculin a ete en son temps un flop parce que les lesbiennes le portaient, tres negatif ses yeux bien evidemment,,, "on" accuse les molecules aromachimiques de transformer les garcons en filles, de la transphobie en voulez-vous en voila,,, et bien moi je suis sure que c'est revelateur de quelque chose chez lui!!

Emma