[Avis] L'Heure Promise (I) - Cartier



Enfin, enfin!

Chez Guerlain, elle avait créé le culotté Pamplelune; elle avait relevé avec brio l'improbable défi de composer une version "légère" pour le légendaire Shalimar; elle avait, surtout, offert le merveilleux Guet-Apens (rebaptisé depuis Attrape-Cœur), un bijou de violette ambrée vineuse jouant sur les codes Guerlain, d'une touchante beauté.
Son passage chez Cartier pour composer des parfums sur mesure avait été un formidable cadeau pour les heureux bénéficiaires, mais une bien grande perte pour les amoureux de parfums moins fortunés.

Mais après le masculin Roadster, lancé en grande distribution, Mathilde Laurent nous est enfin revenue fin 2009 avec la collection des Heures de Parfum. Des parfums résolument positionnés luxe - qualité et prix à l'avenant - exclusifs aux grandes boutiques Cartier. Cinq sont déjà sortis, d'autres sont à venir.

Si l'argument de la "création sans compromis" est devenu galvaudé dans un marché du parfum où saturation et formatage ont aussi gagné les niches, Mathilde Laurent remet ici, si j'ose dire, les pendules à l'heure. Cette collection est une démonstration magistrale de ce que peut être l'art de la parfumerie.

Chacun de ces parfums a une écriture précise, structurée. Foncièrement différents les uns des autres, ils débordent tous d'une éclatante individualité - seul trait d'union qui relierait la brume d'iris de L'Heure Promise et l'étourdissant cuir/thé fumé de La Treizième Heure.
De la beauté en flacon.


***



L'Heure Promise ou l'heure des anges, car dans la réalité,
les anges sentent vraiment comme ça.

Le parfum des anges? Pourquoi pas...
Une chose est en tout cas certaine: cette première heure, L'Heure Promise, est aérienne.

En ouverture, une ténue amertume de feuilles d'agrumes et surtout une bouffée d'iris, dont la facette carotte râpée caractéristique ne se manifeste qu'un court instant: tout aussitôt, la fleur s'entoure d'ionones, cette famille de molécules aux doux accents poudrés-boisés de violette. Quelques éclats de givre s'accrochent encore aux pétales blancs, mais ils ne sont bientôt plus qu'un souvenir et l'iris s'assèche graduellement, pur et délicat. Tout juste poudré, il se fait très légèrement sucré, dragée angélique nuancée du parme pâle des ionones.

Mais si cet iris est dessiné au pastel, il ne s'abandonne pas à la mièvrerie: subtilement décalée, une brume de très fine effervescence vient lui insuffler une tension presque imperceptible, un infime crépitement d'électricité statique. La fleur poudrée se drape de tulle blanc, raide et crissant.




Le contraste de textures se poursuit au fil du temps: à l'iris qui prend une tonalité coton très délicatement baumée, un peu crème de jour, les bois qui transparaissent progressivement répondent par une sécheresse poudreuse, presque sciure.

Relativement linéaire, la fragrance évolue par petites touches discrètes: l'effervescence s'accentue légèrement pour prendre les contours familiers du "bois qui pique", tandis que l'iris se retire sur la pointe des pieds en laissant place à des bois pâles, posés sur un épais nuage de musc blanc propret.

Ce charmant iris, exsangue de sa sève de mercure, épuré de toutes celles de ses facettes qui pourraient rappeler ses terreuses origines, lève les yeux vers le ciel. Clair, irradiant une pâle lumière, il est travaillé tout en transparence, dans une manière résolument moderne, et son sourire candide est démenti sotto voce par ce crépitement, cette légère rigidité amidonnée qui laissent deviner plus de caractère qu'il n'y paraît.

Reste, très prosaïquement, la question qui se pose inévitablement pour chaque opus de cette collection, vu les tarifs pratiqués: "vaut"-il son prix? A chacun de répondre selon ses moyens et ses goûts, bien entendu - sachant en outre que cette Heure Promise, eau de toilette, a une rémanence plutôt médiocre.
Si jolie soit-elle, je réserverais pour ma part un investissement de cet ordre à l'une de ses sœurs vespérales, à la beauté rauque et saisissante.


Notes de tête: petit grain, herbes fraîches
Notes de cœur: iris, notes florales
Notes de fond: notes boisées, santal, muscs


Maison: Cartier
Créateur: Mathilde Laurent
Année de création: 2009
Famille: floral - boisé musc

Disponible
: en Eau de Toilette,
vapo 75 ml (224 EUR), dans les grandes boutiques Cartier uniquement.


Images: flacons Saks Fifth Avenue; Giovanni Boldoni - Pastel Blanc, Portrait en pied de la jeune Emiliana Concha de Ossa, pastel, 1888 (détail, via Le Moleskine sur la table)

5 commentaires:

carmencanada /Grain de Musc a dit…

Sixtine, très beau commentaire sur l'Heure Promise. Sur moi, hélas, elle ne les tient pas, ses promesses, car je cesse de la sentir au bout d'une heure à peine (et j'ai essayé à plusieurs reprises). Je le regrette d'autant plus que c'est une très belle qualité d'iris et que la composition est d'une grande délicatesse: elle manque à ma garde-robe de senteurs.
En effet, pour cette mise de fonds, je craquerais plutôt pour la XII ou la XIII (la première étant d'une ténacité à toute épreuve).

Xavier a dit…

Eh ben, je suis d'habitude assez indifférent aux descriptions lyriques, mais là, tu t'es surpassée!...

Six' a dit…

D,

...les ionones? Je dois dire que si je la sens pendant plusieurs heures malgré tout, elle reste surtout au niveau du chuchotement.... et c'est dommage, parce que comme tu le dis, un iris aussi fin, aussi délicat, c'est rare.

Et la XIIe heure, à qui le dis-tu! J'ai dû recourir à la brosse à ongles ;)
(superbe parfum, ceci dit!)

Six' a dit…

X,

Merci! Mais rendons à César ce qui lui appartient de droit, ce sont les jus qui sont si beaux qu'ils poussent à la poésie...

Merci d'être passé ici!

carmencanada /Grain de Musc a dit…

C'était l'hypothèse de Mathilde Laurent, l'anosmie aux ionones, mais il y a d'autres parfums à l'iris que je sens bien... Je ressors mon échantillon de temps en temps et je ressaie!