L'arrivée d'un nouveau tome olfactif dans la collection des Editions de Parfums est toujours un événement.
Quand, en plus, cette nouveauté est signée Maurice Roucel, déjà auteur pour la maison de l'universellement adoré Musc Ravageur, et vu les premiers avis si enthousiastes... les attentes étaient à leur comble.
Qu'en est-il donc, de Dans Tes Bras?
La maison a toujours voulu jouer la carte de la transparence: nom du parfumeur mis en évidence, concentration affichée sur le flacon... et cette volonté touche à présent les matières utilisées. Alors que l'industrie communique généralement des listes de notes plus évocatrices qu'exactes, au point qu'on a pu inclure un "gardénia noir" ou une "rose bleue" dans la composition d'un parfum, la description officielle de Dans Tes Bras laisse rêveur...
L'odeur profonde et savoureuse d'une peau chaude, un peu salée. Un parfum sculpté dans de gros blocs de cashméran, de santal, de musc et de patchouli, renforcé d'un cocktail de salicylates et d'encens, adouci d'héliotropine, coloré par un accord de violette.
Une sensualité intime mais profonde, une odeur de peau sublimée, l'essence même du parfum.
...imaginerait-on semblable liste de notes ailleurs?
Le Cashméran: voilà la note-phare, volontairement surdosée, de Dans Tes Bras.
Aussi appelé "bois de Cachemire", il s'agit d'une matière synthétique extrêmement complexe, intense et diffusive. Elle est classée dans les muscs, mais y ajoute des facettes boisées-balsamiques chaudes, avec une note fruitée-mûre soulignée, paraît-il, d'une petite pointe de camphre et même d'une touche de béton humide.
Il semble que la fragrance peut varier radicalement d'une peau à l'autre, et son effet sur mouillette est bien différent encore... ce qui explique probablement pourquoi mon ressenti diverge à ce point des avis que j'ai déjà pu lire.
Sur ma peau, Dans Tes Bras commence ainsi par une note puissante, âcre, de... sous-bois, d'humus, où domine une odeur de champignons crus (!!).
Autant dire que l'effet est plutôt surprenant, et c'est un euphémisme...
Cette étrange senteur se prolonge solidement pendant deux ou trois heures. Une fois le premier choc olfactif passé, j'y distingue la violette... mais cette violette-ci est dépouillée, profondément végétale, au point qu'elle ne paraît pas même fleurie.
La composition est, à vrai dire, si parfaitement fondue que je peine à en distinguer les notes au-delà des sous-bois. En cherchant bien, j'y sens du vert de violette, le boisé sombre du Cashméran et du patchouli en fond, une certaine fraîcheur mentholée qui doit venir des salicylates, un côté métallique... mais l'exercice est futile, puisque la senteur résultante ne ressemble pas à la somme de ces parties.
La composition est, à vrai dire, si parfaitement fondue que je peine à en distinguer les notes au-delà des sous-bois. En cherchant bien, j'y sens du vert de violette, le boisé sombre du Cashméran et du patchouli en fond, une certaine fraîcheur mentholée qui doit venir des salicylates, un côté métallique... mais l'exercice est futile, puisque la senteur résultante ne ressemble pas à la somme de ces parties.
A mesure que les effluves de champignonnière s'atténuent, très lentement, l'ensemble prend des teintes cuirées et rappelle assez, à ce stade, l'intérieur d'un sac à main...
Quelques heures plus tard encore (c'est dire si la tenue est bonne!), alors que je humais distraitement mon poignet pour vérifier ponctuellement l'évolution de ce "sac à main"... c'est l'illumination.
Incroyable mais vrai: la fragrance a fini par prendre une odeur très proche que celle qu'exhale ma peau après une exposition au soleil. Une odeur de peau puissante, chaude, un peu salée, un peu daim et un peu âcre... c'est tout à fait stupéfiant.
Elle poursuit ensuite son chemin, se faisant de plus en plus douce, pour finir sur une note daim/musc blanc, très légèrement poudrée.
Par acquit de conscience, j'ai fait essayer Dans Tes Bras à un aimable poignet masculin, et l'évolution était en fait assez semblable à ce qu'elle a été sur moi: notes de sous-bois bel et bien présentes, mais avec une certaine acidité, l'ensemble pouvant effectivement évoquer de loin, comme j'ai pu le lire ça et là, un aftershave (blasphème!).
Par contre, des violettes bonbon, du doux floral et de l'encens fumé mentionnés dans les premiers avis, nulle trace...
Que peut-on dire d'un tel parfum?
On est loin, très loin de la violette musquée, féminine, poudrée d'héliotrope et doucement sucrée que j'attendais, mais je ne peux m'empêcher de trouver cette senteur-ci fascinante. Si la fongesque première phase est, sur moi, à oublier, tout le talent de Maurice Roucel se manifeste dans cette éblouissante évolution en une réelle odeur de peau, d'un art consommé.
Dans Tes Bras est de l'art contemporain en flacon, un parfum conceptuel qui sera, je le crains, parfaitement importable pour beaucoup de monde. Puisqu'il varie beaucoup selon les peaux, je gagerais pourtant qu'il sera merveilleux sur certain(e)s tout au long de son évolution... et je les envie.
Maison: Editions de Parfums Frédéric Malle
Créateur: Maurice Roucel
Année de création: 2008
Famille: ?
Disponible en eau de parfum, en vapo 50 ml (105 EUR) et 100 ml (155 EUR) et en coffret de trois vapos 10 ml (65 EUR).
En parfumeries sélectionnées et sur le site des Editions de Parfums.
15 commentaires:
J'ai bien senti l'odeur terreuse de Dans Tes bras, mais pas la champignonnière. Il faut que je reteste dare-dare, sur la peau cette fois (on ne m'avait consenti qu'une touche en avant-première, et Dieu sait si les touches de Frédéric Malle sentent le carton...).
un choc!!! une grande claque dans la figure mais pas vraiment dans le bon sensn une odeur humide, de cave humide, champignons, moisissure ? des notes vertes âcres, limite "surettes" je resiste a la tentation d'aller laver ma main puis doucement des notes talquées seches, reches, salées, comme une odeur de sueur, decidement j'aime de moins en moins, mais ça me fascine ce côté hors normes, un petit côté cosmetique poudre de riz (la violette ?) pointe mais comme un voile
je ne porterais jamais ce parfum, pas possible, mais qu'a donc fait maurice ? pourtant, je n'arrete pas de sniffer et resniffer mon poignet, odeur etrange, un peu rapeuse, un peu "reviens y, reviens y" c'est vrai que je suis attirée par les parfums speciaux mais la, je ne sais pas quoi en penser,je suis plus que perplexe, j'aime ou j'aime pas? et bien ce serait les 2
a la fois, il y a tout un côté chaud, un peu charnel qui me plait beaucoup et un côté "suret" que je deteste, donc ça m'etonnerait beaucoup que je l'achete un jour mais c'est le genre de parfum que je retesterais dans quelques temps, c'est sûr! pour l'instant je ne suis pas prête à payer ce prix pour cet "exercice de style"
et oui, Dans Tes Bras dérange un peu, mais c'est bien pour cela qu'il me fascine ! Il est tout en contraste et en contradiction, fumé-poudré, rèche-humide, masculin-féminin. C'est tellement rare de se faire surprendre par un parfum aujourd'hui qu'il faut apprécier quand ça arrive. Après, que l'on ait envie de le porter ou pas, c'est une autre histoire... Moi j'avais juste trouvé la tenue pas terrible sur peau.
Une revue fascinante, sans doute!
Merci! J'aime beaucoup le Cashmeran et les odeurs musques...
Je me demande si cet effect peau sale a un lien avec L de Lempicka, aussi par Roucel?
PS.tu as gagne un enchantillon de nouveau Tauer! ~je vais l'envoyer avec les autres :-)
J’aime énormément le cashmeran qui m’évoque les vieilles boîtes de décorations de Noël qui ont traîné au grenier et qui sentent encore un peu les aiguilles de sapin, un relent de résine et de magie Je n’ai pas encore testé « Dans tes Bras » et je commence à trépigner d’impatience après la lecture de ton avis et les ressentis de Véro et d’autres personnes, parce qu’il m’a tout l’air d’être un parfum étrange… et les parfums étranges ne sont pas légions.
Bon, c’est vrai, il ne suffit pas d’être étrange il faut aussi être beau et portable… et en plus, je déteste l’art conceptuel.
D,
C'est peut-être mon nez qui est plus particulièrement sensible à cette note, quoique je ne l'aie encore jamais sentie dans un parfum... De tous les premiers avis, c'est dans le vôtre, d'ailleurs, que je retrouve la description la plus proche de mon ressenti - les champignons en moins! ;)
Par contre, la violette bonbon, la ressemblance avec Trésor, un côté très féminin qu'on a évoqué ailleurs, vraiment, je n'en ai pas senti la première note.
C'est peut-être parce qu'il semble, en tout cas, que Dans Tes Bras varie vraiment beaucoup d'une peau à l'autre - une contributrice de Basenotes (article ici)qui a pu assister au lancement américain donne un bel échantillon de divergences! Il se trouve que sur les deux tests cutanés auxquels j'ai bien scientifiquement procédé (que ne ferais-je! ;), cette odeur de champignon était présente (plus sur moi que sur lui, d'ailleurs), mais c'est peut-être simple hasard...
Vero,
On est donc d'accord pour les champignons! ;)
Je ressens finalement à peu près la même chose pour Dans Tes Bras: un côté franchement détestable, et après un moment, un goût enivrant de revenez-y...
Je n'achèterai pas non plus de flacon, parce que trop, vraiment trop étrange pendant les premières heures, en tout cas sur moi, mais ces notes de peau ensuite sont si addictives que j'aimerais au moins toujours en avoir un peu pour les ressentir de temps en temps!
Jeanne,
Tout à fait, et j'apprécie l'innovation! Le fait est que sur moi, Dans Tes Bras enfonce tous les parfums créés, eux, pour évoquer l'odeur d'une forêt - et cette senteur d'humus et de champignons est des plus déconcertantes, quand on s'attend à une violette poudrée...
Je dois dire que, sur moi toujours, il n'est pas du tout féminin. Je dirais même qu'il dépasse ce clivage, je le trouve inclassable. Sa première phase est une odeur qui n'a traditionnellement rien à voir avec le parfum; sa seconde phase, cette odeur de peau, m'a fait le même effet que MKK: j'ai l'impression qu'on dépasse l'odorat, qu'on en arrive dans le ressenti pur, dans les tripes... et j'applaudis le tour de force!
E,
Mail coming your way! ;)
A vrai dire, je n'ai pas retrouvé ici la tendance de Maurice Roucel au parfum riche et baroque, comme dans Musc Ravageur ou L... pour moi, je trouve ce Dans Tes Bras vraiment unique, il ne ressemble à rien d'autre! (avec, toujours, le caveat de la réaction variable sur la peau...)
Dans L, je ressentais la note de sel comme une pincée saupoudrée dans le parfum, tandis qu'ici, elle me semble plus naturelle, partie intégrante de cette odeur de peau...
Nathalie,
Oh, la jolie image! Je sens effectivement une touche mentholée qui pourrait correspondre au pin, ça fait donc partie aussi du spectre du Cashméran?
Sinon, pour être unique, Dans Tes Bras est unique! Je dois dire que son originalité même me fascine, surtout évidemment dans son évolution... mais ce qu'il donne sur moi le classerait dans la catégorie "importable" pour beaucoup de monde. Ca ne sent pas conventionnellement bon, en tout cas! J'espère juste être l'exception, et qu'il s'épanouisse différemment sur d'autres peaux...
Tient tient, nous revoilà quelques années en arrière quand Maitre Parfumeur et Gantier avait sorti sa "Route Du Vétiver"
Le parfum qui vous donne l'impression de sortir d'une route de campagne fraichement retournée.
"Route Du Vétiver" est quasi déjà importable et est une pièce à part.
Et bah non, un autre extraterrestre vient de faire son apparition.
"Dans tes bras" (nom que je ne comprends pas ... mais enfin) est donc pour moi le deuxième parfums d'une nouvelle famille que l'on pourrait nommer les "Terreux"
Portable, importable, je ne sais pas mais pendant plus de 30 ans (entre 60 et 90), nous n'avions que très peu de cuirs disponibles sur le marché ... maintenant les cuirs sont acceptés et la plupart sont même considéré comme léger
A suivre donc si nos nez pourront re-accepter la terre comme ils ont re-accepter le cuir
A,
Je n'avais pas envisagé les choses sous cet angle, j'avais vu Dans Tes Bras comme un ovni olfactif, plutôt que comme un potentiel pionnier... et il est vrai qu'au moment de leur apparition, les cuirs avaient tout pour déconcerter!
Début d'une nouvelle famille olfactive, donc? Ce serait intéressant... mais vu la dominance persistante des fleuris-fruités, le marché de grande distribution ne m'y semble pas encore prêt pour l'instant. Affaire à suivre!
(et pour le nom, je suppose qu'il fait référence à l'odeur de peau recherchée, que j'ai effectivement sentie en deuxième phase du parfum?)
Il faut que je le ressente...
Je m'attendais à un parfum romantique et sensuel, à cause de la violette, du doux que m'inspirait le cashmere dans cashmeran, et du trouble apporté par la note de terre et d'humus.
J'ai été très déçu et méchamment surpris.
Pour moi ça sent l'acrylique. Ou l'aigreur de l'acrylique qui brûle. Le dégoût a fait un mur, j'ai me suis fermé à la composition du parfum.
Vous avez raison, c'est un alien ! (comme dans le film).
Mais je le réessairai sur la peau, sait-on jamais !
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En parlant de "musc koublai khan" de Lutens, je suis de plus en plus surpris de le sentir partiellement dans des parfums récents.
Ca me fait une surprise agréable de déjà vu, mais décevante par rapport à l'original, dont je m'accomode pourtant mal.
Est-ce que ça vous l'a fait aussi, de penser très fort "mais y'a du MKK là dedans" au cours de vos récent sniffages ? (ou bien c'est moi qui déraille)
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Oui, peut-être que "dans tes bras" initie une nouvelle famille. Après tout, on s'est habitué à des "woody amber" hyper présent et lourds dans des compositions (une rose, jubilation XXV,...), voici peut-être leur pendant féminin ?!!
moi, c'est le thé, toi le parfum,
mais des deux côtés, une passion faite d'une même sensation.
j'aime ton blog.
il me réchauffe.
il me séduit
Bonjour. Je viens de découvrir votre blog avec ravissement. Félicitations !
Pour avoir essayé Dans tes bras hier pendant une journée, voici mes impressions : c'est un parfum qui procède par imprégnation lente, mais dont la signature est immédiatement très caractérisée. Rien n'a été fait ici pour être consensuel, nous sommes dans la pure création contemporaine (ce qui est assez caractéristique des Editions de Parfum). Cette seconde peau m'habite de manière parfois caline, parfois obsédante. Elle imprègne aussi la pièce où je travaille, habitant les lieux aussi bien que les personnes.
En conclusion, je pense qu'il s'agit d'une création exigeante, pour ceux qui aiment "le parfum pour le parfum". S'il s'agit simplement de porter une odeur flatteuse ou de séduire, ce n'est pas le parfum requis. Mais si l'on est prêt à écouter le discours d'un parfum qui a des choses à dire, Dans tes bras est un compagnon fascinant.
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