Vive le roy!
Nous sommes à la seconde moitié du XVIIe siècle. Le prestige du Soleil des Bourbons brille sur la France. Et depuis Versailles, l'élégance de la Cour française donnerait bientôt le ton à l'Europe entière.
Le métier du parfumeur
Le parfum était assurément l'un des fleurons de ce raffinement. Sa vogue allait croissant, et pour la première fois, au début du siècle, la profession de parfumeur s'était vu attribuer un titre officiel, protégé, ce qui allait aussi entraîner des obligations: il fallait quatre ans d'apprentissage avant de devenir "maître gantier et parfumeur" (titre qui sera familier aux amateurs de parfums de niche!)
Pourquoi donc associer les gants aux parfums?
C'est qu'à l'époque, les gants de peau devaient d'abord être purgés de tout effluve malodorant par des trempages dans de l'eau de fleurs (oranger, rose,...), puis ils étaient longuement "mis en fleurs", c'est à dire couchés dans des lits de fleurs naturelles (tubéreuses, roses, violettes,...) régulièrement renouvelées, pour qu'enfin ils soient imprégnés de leurs doux parfums. Touche finale: ils étaient humectés d'eau d'oranger agrémentée de musc et de civette.
Les gants étaient ainsi, à l'époque encore, le premier et principal vecteur du parfum.
Pour satisfaire leur clientèle, les gantiers-parfumeurs choisissaient avec soin les différentes essences et fleurs afin de composer une senteur particulière pour ces gants. Et déjà, le métier du parfumeur flirtait avec celui de l'illusionniste: on trouve des recettes de "gants d'ambre sans ambre" et de "gants de l'odeur de jasmin sans fleurs"!
S'ils se taillent la part du lion dans la profession, les gants n'étaient pas le seul produit de l'art de ces maîtres, loin de là. Ils proposaient ainsi des compositions nommées Eau d'Ange (à base de benjoin et styrax, un peu de muscade, girofle et cannelle), Eau de Mille Fleurs (la même, mais musquée), Eau de Cordoue (la même, mêlée d'eau de rose), Eau de Fleurs d'orange, Parfum à la Duchesse, ainsi que des essences d'ambre et de musc, extrêmement prisées: les parfums sont généralement lourds, épicés, riches en notes animales. Les pommades, poudres et les savons se parfument, eux aussi.
Et les parfumeurs?
Alors qu'aujourd'hui, les créateurs sont (heureusement de moins en moins) cachés derrière leur marque, les maîtres parfumeurs du XVIIe siècle ont pignon sur rue, amassent de véritables fortunes et deviennent célèbres, au point parfois de devenir la coqueluche de la Cour.
Les plus connus ont nom Martial, Jean Gallimard, Simon Barbe. Leur vogue est telle qu'on en retrouve trace même chez Corneille, glissant cette allusion à Martial:
Le joli passe-temps
D'être auprès d'une dame et causer du beau temps,
Lui jurer que Paris est toujours plein de fange,
Qu'un certain parfumeur vend de fort bonne Eau d'ange.
Et, le snobisme ne datant pas d'aujourd'hui, "Donnons nous de garde de ressembler à ces fanfarons", prévient un sage, "qui ne voudroient pas d'une paire de gants si elle ne venoit de chez Martial"...
Le sieur Simon Barbe, lui, va publier deux ouvrages restés célèbres.
Le premier, "Le Parfumeur françois, qui enseigne toutes les manières de tirer les odeurs des Fleurs, & à faire toutes sortes de composition de Parfums", paru en 1693, était un livre de vulgarisation destiné au "divertissement de la noblesse":
Les personnes de condition, et celles qui ont un honnête loisir rempliront leur temps et se désennuyeront en campagne, lorsqu'il employeront l'abondance des fleurs à en faire des parfums à juste prix.
L'objectif? Non seulement fleurer doux, bien sûr, mais aussi "se délivrer du mauvais air qu'on trouve souvent malgré soy."
Le deuxième opus, "Le Parfumeur royal, ou l’art de parfumer avec les fleurs & composer toutes sortes de parfums, tant pour l’Odeur que pour le Goût", paru en 1699, était adressé aux professionnels (il a été récemment réédité, mais il est malheureusement déjà épuisé). Outre des recettes d'"eaux de senteurs" et d'"essences", on y trouvait aussi comment parfumer les gants bien sûr, mais aussi le tabac, les poudres à cheveux et... les liqueurs et "parfums bons à la bouche".
L'essor de la parfumerie va aussi être favorisé par l'explosion de la palette du parfumeur: la région de Grasse va non seulement multiplier les plantations d'oranger, mais surtout, elle va y acclimater en 1632 une fleur venue de Perse: la tubéreuse. Vingt ans plus tard, ce sera le jasmin d'Asie, à la senteur si opulente, qui viendra s'y ajouter.
Chaque matière aura ses usages de prédilection: "Pour les cheveux ou perruques, c'est l'essence de jasmin qui étoit la préférée; et, pour le tabac, c'étoit déjà la civette, mais frelatée."
Le parfum à la cour de Louis XIV
Au début de son règne, le jeune Louis XIV vouait une véritable passion aux parfums, héritant d'ailleurs en cela du goût de sa mère.
Le Parfumeur françois atteste bien de cette affection:
Le plus grand des monarques s'est plu à voir souvent le sieur Martial composer dans son cabinet les odeurs qu'il portoit sur sa sacrée personne.
C'était au point que Simon Barbe avait surnommé le roi "le plus doux fleurant". Et le duc de Saint-Simon, grand mémorialiste du temps, de confirmer:
(...) jamais homme n'aima tant les odeurs, et ne les craignit tant après, à force d'en avoir abusé.
C'est que, hélas!, l'excès en tout nuit, et le roi finit par s'en gâter la santé, devenant franchement allergique aux parfums. Ainsi l'explique Saint-Simon:
Le roi aimait extrêmement l'air, et quand il en était privé, sa santé en souffrait par des maux de tête et par des vapeurs que lui avait causées un grand usage des parfums autrefois, tellement qu'il y avait bien des années que, excepté l'odeur de la fleur d'orange, il n'en pouvait souffrir aucune, et qu'il fallait être fort en garde de n'en avoir point, pour peu qu'on eût à l'approcher.
Cette aversion était de notoriété publique, comme le confirme la truculente Madame Palatine, belle-sœur du monarque:
Notre roi aime beaucoup la cannelle, mais S.M. ne peut souffrir l'ambre. Dès qu'il sent un parfum, il entre en transpiration et a des points à la tête: il faut immédiatement brûler du papier...
Après cette extraordinaire vogue des parfumeurs et des senteurs de toutes sortes, les choses vont donc bien changer à la Cour... Pour flatter le roi, les élégantes lui emboîtent le pas, ainsi que s'en étonne un voyageur sicilien de passage:
Les étrangers jouissent à Paris de tous les plaisirs qui peuvent flatter les sens, excepté l'odorat. Comme le Roi n'aime pas les senteurs, tout le monde se fait une nécessité de les haïr; les dames affectent de s'évanouir à la vue d'une fleur.
Pas toute, non! Car ainsi qu'ironise Madame Palatine, peu amène à son habitude envers Madame de Maintenon, la nouvelle épouse de Louis XIV:
Personne ne portait à la cour des parfums, que la vieille Maintenon; elle avait toujours des gants parfumés de jasmin; le roi ne tolérait les odeurs sur personne que sur elle, parce qu'elle lui faisait croire que c'était une autre personne qui s était parfumée.
Pour Madame Palatine, le holà mis sur les fragrances n'était pas une bien grande perte. Il faut dire qu'elle-même "tenait beaucoup plus de l’homme que de la femme", avec "la figure et le rustre d’un Suisse", et n'aimait rien plus que la chasse et rien moins que les falbalas.
Le contraste qu'elle formait avec son époux le duc d'Orléans dit Monsieur, frère de Louis XIV, en était d'autant plus saisissant, car selon la description célèbre de Saint-Simon toujours, voilà comment était fait Monsieur....
C’était un petit homme ventru, monté sur des échasses tant ses souliers étaient hauts, toujours paré comme une femme, plein de bagues, de bracelets et de pierreries partout, avec une longue perruque toute étalée devant, noire et poudrée et des rubans partout où il pouvait mettre, plein de sortes de parfums et en toutes choses la propreté même.
Amoureux à ce point de la parure, Monsieur ne pouvait partager l'aversion de son illustre frère pour la chose parfumée, bien au contraire. Et Mademoiselle de Montpensier, un bref moment promise à Monsieur, en était fort marrie. Alors que, déconfite, elle recevait la visite de son ex-futur-fiancé:
Il parla toujours de parfums, sur quoi je n'avais rien à lui répondre....
Monsieur n'avait d'ailleurs pas hésité à faire du fameux Martial son propre valet de chambre.
Dans l'hygiène et la toilette mêmes, les senteurs sont partout, quoi qu'en pense le roi.
Ainsi, si l'eau pure et les bains sont considérés comme néfastes, on fait par contre grand usage d'eaux de fleurs et de vinaigres odorants, on se frotte de savonnettes parfumées et de "mouchoirs de Vénus", ces étoffes imprégnées d'essences parfumées. Le parfum s'accompagne ici de la notion de propreté, et les médecins attribueront souvent des vertus thérapeutiques aux eaux odorantes, notamment à l'ancienne Eau de la Reine de Hongrie (très aromatique: à base de romarin, avec de la fleur d’oranger, de l’esprit de rose, de la menthe et du citron).
Des sachets de senteurs, notamment de la poudre d'iris, très en vogue au début du siècle, se glissent dans les plis des vêtements. Les poudres à cheveux embaumeront le jasmin, la rose, la jacinthe.
Et n'oublions pas que sous ses dorures, Versailles, faute d'installations sanitaires, était toute crasse et puanteur. Au point qu'il fallait bien réagir:
Quelque répugnance que l'on éprouvât alors pour les parfums, les palais royaux étaient tenus dans un tel état d'infection qu'il fallait bien parfois se résoudre à la combattre. En ce cas, on se bornait à appeler un officier de fourrière. Il arrivait portant à la main une pelle chaude, sur laquelle il brûlait une substance odoriférante.
Et voilà comment grand roi aima passionnément les parfums, puis s'en dégoûta. Son successeur, lui, n'y sera pas allergique, et c'est toute la cour qui se replongera avec délices dans les senteurs. Tellement, à vrai dire, que sous le règne de Louis XV, l'entourage du roi sera surnommé "la cour parfumée"... mais ceci est une autre histoire.
Sources: Annick Le Guérer - Le Parfum, des origines à nos jours; Saint-Simon - Mémoires; Lettres de Madame, duchesse d'Orléans née princesse Palatine; Simon Barbe - Le parfumeur françois (édition en ligne); Nicolas de Blegny - Le livre commode des adresses de Paris pour 1692 (édition en ligne); Alfred Franklin - La vie privée d'autrefois. Vol.14. Les magasins de nouveautés. (édition en ligne); Philippe Erlanger - Monsieur, frère de Louis XIV; Historical Perfumes; Annick Le Guérer - Les parfums à Versailles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Approche épistémologique, dans Odeurs et Parfums, éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Paris, 1999.
Images: Jean Belin - Fleurs dans un vase d'or, buste de Louis XIV, corne d'abondance (Louvre; image RMN), Charles Le Brun - Louis XIV en armure (image Courduroisoleil); Michel Corneille - Philippe d'Orléans portant une armure (image Wikipedia); Pierre Mignard - Portrait de Madame de Maintenon (image Wikipedia); Jean Nocret - Louis XIV et sa famille travestis en dieux de l'Olympe (Versailles; image Wikipedia); British Museum, Chemical Heritage.
5 commentaires:
Quel plongeon passionnant dans un passé surement très odoriférant!
Merci !
Zazie
Zazie,
Je donnerais très cher pour pouvoir sentir un parfum de l'époque! Je sais qu'un parfum de l'époque Louis XVI a été recomposé par Francis Kurkdjian pour le château de Versailles (l'inabordable Sillage de la Reine), mais pour l'époque Louis XIV, je ne crois pas... ce serait diablement intéressant!
Merci d'être passée ici!
Voilà un article très complet !
"et, pour le tabac, c'étoit déjà la civette, mais frelatée."
La civette sent déjà fort, mais alors frelatée ! :D Et comme on ne sait pas s'il s'agit de tabac à priser, fumer, ou mâcher, j'imagine le pire.
Julien,
Il me semble qu'à l'époque, il était surtout prisé... mais dans tous les cas de figure, ça ne donne guère envie, pour sûr! ;)
Bonjour ,je recherche des renseignements sur Jean Galimard parfumeur Gantier 17eme 18eme né à Grasse en 1668,merci P
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