[Avis] Kingdom - Alexander McQueen


(...) ennuyeux, lourd et opaque. Fort heureusement, il a fait un flop.

C'est sur cette estocade que l'expert Luca Turin, dans son Guide, termine sa critique de Kingdom, premier parfum lancé par le couturier Alexander McQueen en 2003. Et flop retentissant il y eut, effectivement. Mais pas à cause d'une quelconque monotonie. D'ordinaire, les commentaires sur Kingdom sont plutôt de cet ordre:

ça sent comme si j'avais mangé indien pendant un mois, que je n'avais pas pris de douche depuis une semaine et que je venais de faire une heure de gym.

Le coupable? Le cumin, dont Kingdom est saturé. S'il entraîne les uns dans des rêveries orientalisantes de marchés aux épices, il évoquerait plutôt aux autres les aisselles d'un routier au terme d'une chaude après-midi d'été, pour rester dans la métaphore fleurie.

En fait, c'est tout à fait délibérément qu'Alexander McQueen et le parfumeur Jacques Cavallier (L'Eau d'Issey, le Classique de Jean-Paul Gaultier) ont tourné le dos à la facilité en concevant cette fragrance. Et après tout, monsieur Cavallier est aussi l'auteur des très beaux et très incompris Le Feu d'Issey et Nu d'Yves Saint Laurent...

Truisme: pour vendre, l'industrie du parfum joue allègrement des codes de la séduction, de la sensualité, voire même, quoique plus rarement, de la franche sexualité, témoins les fameuses campagnes porno-pas-chic de Tom Ford. Par contre, les parfums récents qui osent la transgression non seulement dans l'enrobage publicitaire, mais aussi dans la composition même de la fragrance sont bien plus rares. Et Kingdom est l'un d'eux.
Il voulait, nous dit-on, évoquer la sensualité (bien entendu), la sexualité (on avance...) - mais aussi, en sus, "l'intimité du monde féminin".
A en croire des litanies de commentaires horrifiés, d'aucuns estiment qu'il a effectivement emprunté l'odeur de.... de "l'intimité du monde féminin". Hm.




Après ces réjouissantes mises en bouche, je crains de décevoir.
Ces critiques déroutées voire épouvantées semblent en fait venir en majorité d'outre-Atlantique, où la chose parfumée peut moins se permettre de déroger à un certain hygiénisme olfactif. Et Kingdom est aussi l'une de ces fragrances qui varient nettement d'un épiderme à l'autre.

Sur moi, à tout le moins, il est divin.
Les notes de tête sont étonnamment fraîches, citronnées. Le fameux cumin s'y déploie déjà largement, mais sans se faire pour autant tapageur: le sillage est lustré, poli, bien loin du moindre effet souk. Son nuage épicé plane au-dessus d'une couche florale qui reste proche de la peau, jasminée et nettement indolique (effet "sale"). Citronné, chaud, aromatique, légèrement anisé... les facettes du cumin s'égrènent. Il semble par ailleurs qu'une rose sombre s'épanouisse pleinement sur certaines peaux, mais sur moi, elle est bien plus discrète.
S'il n'est pas repris dans la composition officielle, le santal et ses accents boisés-lactés se fait, lui, bien présent, et à mesure de l'évolution, il va s'affirmer tandis que le cumin s'apaise. Le fond, fleuri-boisé, se nuance d'une légère touche de vanille.

L'extrait de parfum place encore plus haut la barre de l'(in)accessibilité.
Sorti plus tard semble-t-il, et en édition limitée, il faut croire qu'il ciblait l'afición de l'EdP, conquise d'avance, parce qu'il ne prend plus - du tout - de gants: son flacon à coque de métal coulissante libère un jus qui hurle le cumin à pleins poumons.
Le citron en tête ne fait plus qu'une éphémère pirouette avant de bien vite laisser pleine place à l'épice, dont le traitement est plus brut, bien moins soyeux que dans l'EdP, avec des aspérités marquées. La facette florale passe elle aussi en retrait, supplantée par un santal plus affirmé. Et je sens au cœur de cette version parfum une franche note... vespasienne. Au soleil. Fort heureusement, cette facette est perceptible sur l'épiderme, mais pas dans le sillage.
L'ensemble se tempère malgré tout au fil du temps, une belle note de poivre noir venant nuancer le cœur cumin. Au terme de cette longue trajectoire toute d'épices, un fond de musc-santal chaleureux ronronne sur la peau...

Dans ce qu'on imagine une tentative désespérée de sauver le parfum du naufrage, Kingdom a été décliné en eau de toilette l'année suivante, dans un flacon rouge vif sans coque de métal.
La composition a été modulée: le cumin y a été remplacé par du poivre rose, entouré de fleur d'oranger et de muguet. Je ne l'ai plus sentie depuis longtemps, mais je me rappelle une composition effectivement fort différente, bien moins épicée, plus fleurie - plus lisse en somme, et moins intéressante.

Il faut croire que le rouge du flacon a continué à effrayer la ménagère, puisque sont ensuite sorties des déclinaisons EdT en éditions limitées annuelles et en version "été", cette fois dans le même flacon-cœur que l'eau de parfum, mais en gentil rose, et avec de jolies fleurs sur la boîte. Autant enfiler une barboteuse dragée à Carmen.

Puis il a été décidé de mettre fin aux souffrances du pauvre Kingdom.
Alexander McQueen, de son côté, avait dû jurer qu'on ne l'y prendrait plus, puisqu'il avait entre-temps sorti pour second parfum une violette-héliotrope qui n'aurait pas fait de mal à un bébé mouche.

Cohérence, créativité, parti-pris, identité affirmée: Kingdom était une fragrance remarquable, à tout point de vue. Son audace en faisait déjà un pari bien risqué au moment de sa sortie; actuellement, un pareil lancement en grande distribution serait impensable. Mais s'il ressortait aujourd'hui sous un label de niche, on crierait au génie...


Merci à la bonne fée qui m'a permis d'en retrouver un flacon!


Notes de tête: bergamote de Calabre, mandarine de Sicile, néroli de Tunisie
Notes de cœur: rose, jasmin d'Inde, cumin, gingembre
Notes de fond: vanille bourbon, myrrhe d'Indonésie


Maison: Alexander McQueen
Créateur: Jacques Cavallier
Année de création: 2003
Famille: oriental-épicé

Disponible
: retiré de la vente
. Il est encore possible actuellement d'en trouver un flacon dans quelques parfumeries et grands magasins qui ont gardé un stock. En ligne, Kingdom est de plus en plus difficile à trouver, et les prix sur eBay tendent à grimper, particulièrement depuis le récent décès d'Alexander McQueen.
Existait en Eau de Parfum, vapo 30 ml, 50 ml et 100 ml; en Extrait, vapo 25 ml; et en Eau de Toilette (formulation différente), 75 ml; plus flankers éphémères en EdT 50 ml: Limited Edition annuelles et Kingdom Summer.


Images: flacons de l'EdP, de l'Extrait et de la Limited Edition 2004, publicité originale (Fragrantica); flacon de l'EdT (via Anna Wintour).

4 commentaires:

Anonyme a dit…

ce parfum est sublime et je suis déséspérée de ne plus le trouver... aurais tu un miracle à me proposer?!

Six' a dit…

Anonyme,

Malheureusement, Kingdom edp est introuvable à présent chez les discounters en ligne (je sais, j'ai cherché!). Il reste la possibilité de petites parfumeries qui aient encore du stock (probablement la meilleure option), et même quelques chaînes (une bonne fée m'a trouvé un flacon cette année aux Galeries Lafayette en province).
Il est aussi possible d'avoir un coup de veine sur eBay, mais les prix tendent à grimper ces temps-ci...

Bon courage en tout cas!

Anonyme a dit…

http://parfum.twenga.fr/eau-de-parfum-femme-alexander-mc-queen.html#hx=1&s=5&b=2cf&c=1234d&page=1

Anonyme a dit…

Ça fait 3ans que j utilise que ce parfum et depuis 2010 j arrive plus à trouver , c est mon parfum adore il me manque , je cherche tjrs j espère que je trouverais