Un peu comme Le Labo en France, la maison italo-amstellodamoise Nasomatto ("nez fou") cultive la branchitude comme une plante rare. En l'occurrence, la plante serait plutôt d'une variété prohibée: d'Absinth à une Hindu Grass ("herbe hindoue") très peace and love, en passant par une Venus qu'on nous promet Narcotic et une China White que les initiés identifieront comme le nom vernaculaire de l'opioïde α-methylfentanyl, soit une blanche de belle qualité, Nasomatto joue résolument la carte des paradis artificiels.
Ce n'est pas Black Afgano, avant-dernière sortie de la maison, qui y fera exception, puisqu'il se veut ouvertement évoquer "la meilleure qualité de haschisch" avec une composition de "fleurs hypnotiques et bois psychédéliques". Nous n'en saurons d'ailleurs pas plus, puisqu'à son habitude, Nasomatto ne révèle pas ses notes, préférant plonger le porteur dans la seule expérience brute du parfum.
"Brut": voilà qui résumerait d'ailleurs assez bien Black Afgano - comme le reste de la gamme, le parfum est délibérément brutal, taillé à la hache. Et il joue avec les codes masculins, sans tomber tout à fait de ce côté de la frontière des genres en parfumerie: une note appuyée de type "bois qui pique", souvent utilisée dans les masculins de grande distribution, survole de sa vive et lumineuse effervescence un encens d'église sombre, pur, qui grésille et monte en puissantes volutes depuis un fond richement boisé.
Entre ces deux plans, vibration claire de tête et encens sombre du fond, se joue une fascinante pièce en un acte sur toute une palette de notes résineuses, goudronneuses, caramélisées, brûlées qui s'entremêlent, d'abord douceâtres puis presque salées, fumées. Black Afgano ressemble à un exercice de style dans des camaïeux de marron. S'il avait une texture, elle serait légèrement sirupeuse, avec la densité des gouttes de résine qui coulent lentement le long des troncs.
Puisqu'il faut se fier à son seul nez, j'y devine des résines abondantes, le caramélisé salé de l'immortelle, une goutte de café corsé, un trait d'encre noire, le tout roulé dans une feuille de tabac brun, avec un côté aromatique. Certains y sentent de l'oud, dont je verrais effectivement bien une trace, mais sans sa dimension médicinale; d'autres du vétiver, qui n'est pas manifeste à mon nez. Quant à la fidélité de la note "afghane" promise, ma foi... disons qu'on reste plutôt dans l'évocation poétique, aucun risque d'attirer l'attention indue de représentants de l'autorité en le portant.
Proposé en seul extrait de parfum, le sillage de Black Afgano est restreint, mais sa tenue, elle, est extraordinaire - il tient plus d'une journée, et résiste facilement à la douche.
Plutôt qu'une évolution, il serait plus juste de parler ici d'un lent effeuillage au long de la tenue: la fragrance s'offre toute entière d'emblée, tonitruante de richesse, puis abandonne des facettes au fil du temps, le côté douceâtre étant premier à disparaître. Aux deux-tiers du parcours, ne reste plus sur la peau que la trame noire et blanche de l'encens sombre et du "bois qui pique" devenu crissant comme du métal brossé...
Mais s'il est de moins en moins intéressant avec le temps, que les premières heures sont belles! Ce suc si sombre, auréolé de mystère, se fait intrigant, puis envoûtant, et donne envie d'y revenir encore et encore...
Rien d'étonnant, au bout du compte, à ce qu'il soit assez rapidement tombé en rupture de stock. Mais Black Afgano vient de faire sa réapparition sur les sites qui vendent la marque, hélas pour une durée limitée, nous dit-on.
N'attendez pas trop pour le découvrir, il en vaut la peine.
Année de création: 2009
Famille: oriental-boisé
Disponible: en Extrait de Parfum, vapo 30 ml (98 EUR). A la Scent Room du Printemps Haussmann. En ligne, notamment chez Première Avenue et chez Aus Liebe zum Duft (échantillon disponible).
Famille: oriental-boisé
Disponible: en Extrait de Parfum, vapo 30 ml (98 EUR). A la Scent Room du Printemps Haussmann. En ligne, notamment chez Première Avenue et chez Aus Liebe zum Duft (échantillon disponible).
2 commentaires:
Je vous remercie vivement de la critique élogieuse que vous faîtes de mon guide du parfum paru en 2004 et que je découvre dans les commentaires liés au livre fabuleux de Michael edwards, qui par ailleurs nous promet la version des chefs d'oeuvre américains et ils sont nombreux, à commencer par certains Lauder. J'ai essayé de rester objective dans la mesure du possible. En revanche pour Nasomatto, mon avis est des plus tranchés. Autant je suis très séduite par les flacons (leurs proportions et leurs bouchons notamment), voire par les noms, autant les parfums en eux mêmes me font fuir, à commencer par Duro, dont Black Afgano m'apparait comme un "flanker". Tous sont d'une extrême violence sans être d'un intérêt particulier, sinon de hurler haut et fort: "je suis un mâle" ou "je suis une femelle" !!! Je ferai exception de Hindu Grass qui bien que puissant possède une note de patchouli herbacée assez intéressante et qui mériterait d'être disponible en eau de toilette, afin de mieux en apprécier l'accord et Silver Musk, musc assez inoffensif comme tous les muscs blancs.
rebieFR
Rebie,
Avec votre pseudo, je n'étais pas sûre qu'il s'agissait bien de vous, mais je suis contente de savoir que oui!
Je dois vous avouer que comme pour tout ici, je n'imaginais pas à l'époque que l'auteur pourrait un jour tomber sur cet avis... au moins, vous pouvez être sûre que mon enthousiasme était tout à fait sincère!
Et les Nasomatto... on est bien d'accord sur l'aspect brutal des compositions. Je dois dire que l'avis de Luca Turin sur Duro m'a fait beaucoup rire, mais ne m'a pas donné envie d'essayer le parfum, loin de là! Mais j'avais effectivement entendu parler d'une proximité entre Black Afgano et Duro... je dois dire que ce qui m'a intéressée ici, c'est ce travail sur les notes résineuses, caramélisées-brûlées. Ce premier stade m'enchante! Mais ensuite, c'est vrai qu'il se ratatine... Il va falloir que je me penche plus sérieusement sur le reste de la gamme, en particulier Hindu Grass, ce que vous en dites me donne bien envie!
Encore merci à vous!
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