[Avis] Cœur de Vétiver Sacré - L'Artisan Parfumeur



Il paraît que le vétiver est une matière "sûre" pour une maison de parfum, car elle plaît à tout le monde.
Hélas, personne n'a songé à en avertir mon estomac. Il y a des notes en parfumerie qui me déplaisent, bien entendu - question de goût -, mais pour le vétiver, c'est physique: j'ai beau reconnaître objectivement la beauté de compositions comme Habanita de Molinard ou Sycomore de Chanel, rien n'y fait, cette fichue racine me soulève le cœur.
Autant dire, chers amis, que le présent avis est le fruit d'un bel exercice de masochisme...

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne chôme pas, chez L'Artisan Parfumeur. L'automne 2009 nous avait proposé et un oud dans le vent, mais traité de manière particulière, et le superbe tabac-rhum-arrangé de Vanille Absolument (anciennement Havana Vanille). Sur leurs talons arrivait déjà, au printemps, l'extraordinaire Nuit de Tubéreuse - soit coup sur coup, en quelques mois à peine, deux parfums vraiment remarquables, à mon goût parmi les plus intéressants de la gamme. Alors qu'on nous annonce pour l'automne un cuiré au nom si prometteur, "Traversée du Bosphore", une autre nouveauté est déjà sur les présentoirs (pour l'instant, des seules enseignes Printemps): Cœur de Vétiver Sacré.

Pour ce "voyage mystique entre orient et occident" en forme de "boisé aérien et majestueux", ce n'est plus Bertrand Duchaufour qui est aux commandes, nez-presque-intégré et compositeur de toutes les dernières sorties en date de la maison, mais Karine Vinchon, déjà auteur pour L'Artisan de la délicate Eau de Jatamansi.

Un vétiver, donc.
La dominante est désormais un classique de la parfumerie, mais elle semble aussi avoir le vent en poupe ces derniers temps, avec les lancements du Grey Vetiver de Tom Ford, de l'Infusion de Vétiver chez Prada ou encore du Vetyvero de Diptyque... Chez L'Artisan, on a choisi de décliner la racine sur le mode limpide, voire même franchement discret.

En ouverture, une puissante tonalité un peu essence, presque térébenthine, s'exhale sur un fond aigrelet. On y distingue aussi une bouffée d'épices, dominée par le poivre noir et nuancée de muscade, d'une touche de cardamome, de quelques baies roses. Ces vapeurs d'essence poivrée dévoilent progressivement une note soutenue de thé noir, bien plus marquée que la matière-phare: le vétiver est présent en cœur, mais il n'ose pas élever le ton. Mon estomac est ravi: les facettes tranchantes, terreuses, sont particulièrement assourdies; l'habituelle amertume métallique chuchote... un peu comme Nuit de Tubéreuse aurait pu être fait pour ceux qui d'ordinaire ne supportent pas la tubéreuse, ce Cœur de Vétiver Sacré semble s'adresser à ceux qui n'aiment pas le vétiver.

L'évolution de la fragrance le confirme: le cœur et le fond semblent surtout boisés, d'un boisé sombre et profond, à peine teinté de vétiver, et souligné sur la fin d'une fumerolle d'encens - l'aspect "sacré"? J'y sens encore, en cœur, quelques derniers accents "essence", un pétale de violette, une ombre de poivre-muscade... mais si d'autres peaux font semble-t-il nettement ressortir la vanille et des fruits séchés promis en bouquet final, je n'en sens que quelques traces bien ténues sur mon épiderme.

Avec Cœur de Vétiver Sacré, L'Artisan semble poursuivre sa récente série conceptuelle de détournement de la matière-phare annoncée, après Nuit de Tubéreuse, cas évident, et par extension Vanille Absolument, qui dynamitait la gousse. Toute vétivérophobie mise à part, le présent exercice, bien que très honorable, me paraît pourtant moins réussi que ces deux prédécesseurs. Le départ essence poivrée est un peu trop pétaradant, et le cœur thé semble ensuite bien sage par contraste... mais j'avoue que les deux sorties précédentes avaient placé la barre tellement haut qu'il aurait été difficile de tenir le niveau. Ce qui ne m'empêche pas d'espérer que Bertrand Duchaufour répétera l'exploit avec sa Traversée du Bosphore...




Composition: safran, gingembre, baies roses, vétiver, thé noir à la bergamote, dattes, fruits séchés, vanille, encens, musc [plus, selon d'autres sources: violette, tonka]

Maison: L'Artisan Parfumeur
Créateur: Karine Vinchon
Année de création: 2010
Famille: boisé
Disponible en Eau de Toilette, vapo 50 ml (75? EUR) et 100 ml (94? EUR), temporairement en exclusivité dans les grands magasins Printemps et chez Senteurs d'Ailleurs en Belgique.

[impression personnelle] tenue ++- sillage ++-


Image: Basenotes

11 commentaires:

carmencanada /Grain de Musc a dit…

Ton expérience est à peu près la mienne. Je ne raffole pas de ce vétiver, que j'aurais préféré voir traiter par le parfumeur-en-résidence, mais il travaille tellement déjà... Je suis un peu paumée par le nom aussi, que j'ai tendance à réorganiser en "Sacré-coeur de vétiver". Serait-ce parce que la nouvelle direction de L'Artisan est anglaise?
Cela dit, c'est tout de même une interprétation intéressante de cette note à laquelle pour ma part je ne suis pas phobique, que les amateurs de vétiver pourront explorer car le mariage au thé noir et à l'encens, avec un brin de violette, est une très bonne idée.

Thierry a dit…

En tant que vétiverophile, je puis t'assurer que cette matière est loin de faire l'unanimité (dans le grand public en tous cas). Je trouve ce matériau très facetté mais justement plusieurs de ces facettes peuvent paraître désagréables et j'aime justement lorsque le parfumeur se coltine à la matière brute pour en faire un parfum extrême comme Turtle Vétiver (LesNez).
Moi aussi, j'eus préféré que Bertrand Duchaufour soit en charge de ce nouvel opus et je suis totalement d'accord avec toi en ce qui concerne les derniers AP. Je n'ai pas non plus été subjugué lors de mon unique test par ce CDVS (un nom impossible à retenir) bien que j'ai eu la sensation qu'il aurait pu être créé par BD il y a quelques temps. Volonté de s'inscrire dans un style maison ? Qu'en penses-tu ?

Rafaèle a dit…

Sixtine,

Je l’ai senti hier et en ai eu un échantillon. Tout d’abord, pourquoi ce nom quelque peu prétentieux ? Où est le cœur, où est le sacré (hormis peut-être dans la touche d’encens, comme tu le soulignes ? Et j’ai presque envie de dire « Où est le vétyver » ?
Effectivement, ce dernier n’est pas très « présent », il est comme dispersé, éclaté, à l’image de la tubéreuse de Nuit de Tubéreuse. Les premières notes m’évoquent l’herbe coupée associée à une résine de pin en sourdine (la térébenthine dont tu parles). Puis viennent le poivre et l’encens. Le thé s’installe en fin d’évolution ; il me rappelle celui de Tea for Two. Il me semble alors que le vétyver apparaît enfin, sous sa forme terreuse, accompagné d’une trace de vanille.
Au premier humage je me suis dit que je le porterais éventuellement en hiver. Je l’ai retesté ce matin et, bof, il n’a finalement pour moi rien de transcendant, n’était son traitement « non-solinote » si je puis dire, qui l’oppose à une Encre Noire, par exemple.
Je vais attendre Traversée du Bosphore. Et plus encore les nouveaux Lutens ;-)

Merytsia a dit…

Je ne l'ai pas encore senti, même si j'ai des échantillons. Je renâcle un peu car j'ai beaucoup de mal avec le vétiver moi aussi - même s'il n'a pas non plus un effet répulsif sur moi, la seule matière qui me fasse ça à ma connaissance c'est l'anis.

Six' a dit…

D,

Oui, j'imagine qu'il ne doit plus savoir où donner de la tête, rien qu'avec Penhaligon's et Frapin...

Et d'accord avec toi sur l'originalité de l'association, ici. Je crois que s'il n'y avait pas eu ces excellents lancements juste avant chez L'Artisan, j'aurais beaucoup plus apprécié la composition... c'est vraiment par comparaison que ce Cœur me déçoit, bien qu'il soit plus qu'honorable.

Six' a dit…

Thierry,

Ha! Alors que je vois régulièrement des "everyone loves vetiver"... bon, le monde n'est donc pas devenu fou ;)

Je ne sais pas exactement laquelle des facettes me dérange le plus, je crois que c'est ce coupant métallique qui me soulève le cœur... mais bon, ça ne m'empêche pas d'(essayer d')apprécier objectivement une bonne composition. Justement, je serais très curieuse de voir ces facettes très exacerbées - et je regrette d'autant plus de ne jamais avoir senti ce Turtle Vetiver!

Le CDVS, un parfum "à la manière de" Duchaufour il y a quelques temps? Ma foi, ça se tient tout à fait! Mais j'y retrouve en fait ce même esprit de déconstruction de la matière qui avait caractérisé les derniers lancements, juste... je ne sais pas, moins poussé, moins marquant. Du coup, je trouve que CDVS est un parfum réussi, mais pas exceptionnel. Et c'est d'autant plus accentué par la qualité des précédents... il faudra voir ce que donnera la Traversée!

Six' a dit…

Rafaèle,

A mon avis, du côté de L'Artisan, on doit finir par s'arracher les cheveux pour trouver un nom libre de droits, après leurs récentes mésaventures... je n'en sais rien, mais je crois que ça a dû jouer!

Je suis tout à fait d'accord avec ton analyse de ce CDVS... et au final, je crois qu'il laisse plutôt indifférent, hein? Comme Denyse le soulignait, son mariage thé (effectivement proche de Tea for Two) - vétiver est original, mais pas suffisamment à mon goût pour vraiment donner envie de s'y attarder longtemps. Du coup, je me demande un peu à qui il s'adresse? Pas aux fans de vétiver, en tout cas...

Et j'attends moi aussi Boxeuses avec une de ces impatiences! Tu as pu sentir Bas de Soie déjà? Normalement, il ne devrait plus tarder en tout cas...

Six' a dit…

Méryt,

Ah, l'anis! Moi, c'est en nourriture qu'il m'insupporte (j'adorerais aimer l'absinthe pour le principe, avec toute son aura rétro-romantique... mais ce goût pastaga me révulse!)... sa senteur, par contre, ça passe - j'aime beaucoup Douce-Amère, par exemple. Ca cadre dans ta théorie, hein? ;)

Merytsia a dit…

Oui moi aussi j'aimerais boire de l'absinthe, pour le symbole, mais... pouah ! Celle-là je la déteste à sentir, à boire ou à manger.
Pour l'opposition goût/odorat, ce n'est pas vraiment une théorie, puisque j'ai moi-même des contre-exemples ; outre l'anis, il y a la violette : je l'adore à consommer, et je l'apprécie assez en parfumerie (sans en abuser non plus, elle est souvent très sucrée).

Rafaèle a dit…

Finalement chez l'Artisan ce sont les créations d'Olivia Giacobetti qui me plaisent le plus... Il faudrait que j'aille voir du côté d'Honoré des Près...
Pas encore senti Bas de Soie ! Il titille pourtant bien ma curiosité, celui-là ! Dans le Marionnaud le plus proche on m'a dit "pas avant septembre" (le savaient-ils vraiment ? J'en doute...), mais il sera peut-être sorti au Printemps avant... Et je piaffe pour Boxeuses, car je sens qu'il pourrait me plaire !

Anatole Lebreton a dit…

Je rejoins un peu les commentaires de tous ceux qui l'ont testé: j'ai trouvé ça un peu brouillon et pour un vetiverophyle la note dure le temps d'un battement, en sourdine donc très frustrant. Je suis curieux par contre de sentir ce qu'à fait Karine Vinchon pour un Opus d'Amouage.