[Avis] Baghari - Robert Piguet




Écrasées entre l'éclat de rire sonore de la tubéreuse Fracas et le viril uppercut cuiré de Bandit, les autres rééditions de l'ancien catalogue Robert Piguet tendent à passer quelque peu inaperçues. Il faut dire qu'avec leur originalité, leur caractère et leur soupçon de gouaille, ces deux monuments de la grande Germaine Cellier ont tout pour marquer les esprits. Au contraire du chic sans aspérité de ce Baghari, floral-aldéhydé classique dans la grande tradition du N°5?

Robert Piguet avait décidément du flair pour dénicher de jeunes parfumeurs de talent. Bandit sera la première composition de Germaine Cellier, et Baghari, dont la formule remonte elle aussi à la fin de la Seconde Guerre mondiale (1944-1945), sera le premier opus d'un autre inconnu, Francis Fabron... soit le futur père du Dix de Balenciaga, de L'Interdit de Givenchy ou encore de L'Air du Temps de Nina Ricci. Excusez du peu.

Ces futures grandes compositions de Francis Fabron auront en commun une élégance sans effort, très naturelle et très féminine, conjuguée à une douceur poudrée presque caressante. Il serait tentant d'y voir la manière du Maître... d'autant que Baghari en montre déjà tous les signes.

Bien plus que dans les autres familles olfactives, les différents membres de la gens florale-aldéhydée présentent une forte ressemblance. A l'heure de leur vogue, nul doute que les amatrices les distinguaient à la première bouffée, mais de nos jours, nimbés de leur aura de désuétude charmante, ils semblent souvent tous partager les mêmes traits, qui les feraient jeter un peu vite dans un même sac étiqueté N°5. Et c'est certain, Baghari n'y fait pas exception, avec ses notes de tête délicatement poudrées, ses puissants aldéhydes à l'effet "fer à repasser", son bouquet classique de rose et de jasmin en cœur. Mais à s'y attarder, sa personnalité se révèle graduellement, s'affirme, se fait réellement séduisante.

Est-ce ce charmant nuage de poudre de violette qui l'entoure en tête? Les accents d'orange des aldéhydes qui se font, ici, tellement plus marqués? L'iris poudré qui satine le cœur floral? Ce fond feutré, doucement chaleureux et si confortable? Cousin du Dix et du N°5 version eau de parfum, Baghari serait une déclinaison vespérale du thème aldéhydé, moins crue et plus moelleuse, comme vue dans la lumière cuivrée du soleil couchant. Une version qui, avec ses relents d'écorces d'orange confites délicatement épicées, rendrait un lointain hommage à l'art du confiseur, sans verser jamais dans le gourmand - la marque des grands, que de suggérer, frôler, sans afficher crûment.

Pour chaque réédition de l'ancien catalogue Piguet, la formule originale a été revue, pour raisons de conformité aux nouvelles normes mais aussi, nous dit-on, pour mieux correspondre aux goûts contemporains. Voilà qui pourrait faire craindre une restauration à la Viollet-Leduc... mais si le nouveau Visa n'a effectivement rien à voir avec son fauve d'ancêtre, Fracas et Bandit sont restés remarquablement fidèles à eux-mêmes.

Pour Baghari, certains semblent sentir une nette différence entre l'original et sa réédition, mais à mon nez, la ressemblance est au contraire étroite. Aucun relooking sauvage à déplorer: même retouché, le nouveau Baghari conserve son allure classique-rétro. Les aldéhydes radient bien d'une lumière plus éclatante dans mon eau de toilette vintage, tandis que la luminosité semble plus tamisée dans la réédition; la nouvelle version accentue peut-être aussi le côté écorces confites, pour un effet d'ensemble un peu plus sucré... mais globalement, le lifting est subtil, et il est surtout parfaitement réussi. A tout prendre, je trouverais même le nouveau Baghari plus séduisant.

Curieux choix, donc, qu'un nom qui fleure bon le sous-continent indien, pour ce parfum dans la plus pure tradition française. Avec son élégance classique, conjuguée à cette petite tonalité orangée-confite qui le distingue, Baghari a tout pour chavirer les inconditionnels du genre... et peut-être même interpeller ceux qui d'ordinaire ne le prisent guère.



Test de la version eau de parfum (comparaison: avec l'eau de toilette vintage, date inconnue).


Notes de tête: bergamote, violette, néroli, aldéhydes
Notes de cœur: rose centifolia, rose damascena, jasmin, fleur d'oranger
Notes de fond: vétiver, iris, vanille, ambre, musc

Maison: Robert Piguet
Créateur: Francis Fabron (réorchestrée par Aurélien Guichard)
Année de création: officiellement 1950, en réalité v.1944-1945 (relancé en 2006)
Famille: floral-aldéhydé
Disponible en Eau de Parfum, vapo 50 ml (69 EUR) et 100 ml (99 EUR); et en Extrait, flacon 30 ml (difficile à trouver). Une gamme de produits coordonnés est disponible. En points de vente sélectionnés (notamment aux Galeries Lafayette, plus à Paris au Printemps Haussmann et au Bon Marché; à Bruxelles, chez Senteurs d'Ailleurs).

[impression personnelle] tenue +++ sillage +++


Images: flacon d'extrait actuel (Robert Piguet); publicité de 1950, ill. Bouldoires (HPrints); publicité pour la réédition en edp (Parfums de Créateurs)

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