[Avis] Portrait of a Lady - Frédéric Malle




"Portrait of a Lady": le timonier Malle joue joliment sur son titre d'éditeur (de parfums), en baptisant ce dernier lancement, sa cinquième (!) collaboration avec Dominique Ropion, d'un nom de roman, en l'occurrence le classique Portrait de femme d'Henry James. Malgré cette inspiration déclarée, inutile pourtant de chercher une similitude trop poussée - si c'est là son portrait en parfum, c'est que la pétulante héroïne américaine Isabel a dû finalement se décider à quitter Osmond, puis embarquer sur un paquebot pour partir s'installer de l'autre côté de la Méditerranée après la fin du livre...

Portrait of a Lady a germé, nous dit-on chez Malle, à partir d'un noyau présent dans la composition de leur lancement précédent, Géranium pour Monsieur. Mais ce nouvel opus semble en fait adopter la structure de ce grand archétype de la parfumerie orientale, telle qu'elle se pratique dans les Émirats: la rose boisée opulente. Dans les très grandes lignes, Portrait serait ainsi plus proche des précieux attars arabes, ces huiles de parfum si concentrées, que de notre famille "orientale", généralement basée sur l'accord ambre et la vanille.

Cette forme olfactive de la rose boisée arabe était copieuse, affirmée jusqu'à l'ostentatoire, taillée en grands aplats monochromes et délibérément dépourvue de la moindre trace de subtilité. Ici, Dominique Ropion a judicieusement choisi de la dépouiller jusqu'à son ossature, puis de peindre sur ce canevas arabe avec des couleurs occidentales, le rhabillant de finesse. Et le résultat est des plus heureux.



Fidèle à son modèle olfactif, Portrait parle largement de roses. Et c'est par la qualité de la matière utilisée qu'il rappelle les attars: une - ruineuse - essence de rose turque s'exhale en nette surdose, déployant largement ses facettes sombres, concentrées, comme "recuites", effleurées de fruits rouges - mais sans une once de sucre. Si la rose se révèle d'emblée, elle se nimbe au départ d'un nuage d'épices noires très dense, des épices parfaitement sèches qui viennent y conjuguer une part d'ombre. 

La concentration d'épices s'allège au fil des heures, mais la fragrance conserve tout du long ces atours sombres qui enracinent fermement la rose dans la terre. S'il est très présent, le patchouli y fait paradoxalement oublier toute sa dimension râpeuse pour se faire étole chyprée de velours noir autour de la fleur reine... et le résultat, riche, frôlant le baroque dans un geste parfaitement maîtrisé, est d'une élégance folle.

J'avoue avoir un historique mitigé avec les Éditions de Parfums. J'estime au plus haut point les différentes compositions, et la diversité, l'élégance, précisément, qui courent tout au long de la gamme me séduisent - intellectuellement. Pourtant, rares sont celles qui m'ont bouleversée au point de ressentir le besoin d'un flacon complet.
Cette fois encore, je suis longtemps restée d'avis que Portrait péchait peut-être par excès de perfection: une composition ciselée, raffinée, mais sans réelle chaleur, malgré sa mise orientale. Un parfum à admirer, bien plus qu'à aimer... Sauf que cette fois, j'ai eu envie de l'admirer encore et encore. Et encore. Mon flacon de voyage est vide, et son grand frère va bientôt venir le rejoindre.

Portrait of a Lady est peut-être la plus belle rose-oud du marché - mais j'irais même plus loin: même si elle a pu dérouter ceux qui ne prisaient guère cette famille, galvaudée qui plus est ces derniers temps, cette exquise composition, véritable parure olfactive, est un chef d’œuvre de plus à porter au crédit de Dominique Ropion. 


Composition: accord fruits rouges, essence de rose turque, épices (dont essence de cannelle), patchouli cœur, encens, benjoin, santal.

Maison: Editions de Parfums Frédéric Malle
Créateur: Dominique Ropion
Année de création: 2010
Famille: chypré-floral
Disponible en Parfum (?%, surconcentré), vapo 50 ml (145 EUR), 100 ml (215 EUR) et en set de trois vapos 10 ml (90 EUR). Un beurre corporel coordonné est disponible.
En boutiques F.Malle et points de vente sélectionnés, et en ligne sur le site de la maison
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[impression personnelle] tenue +++ sillage +++


Images: flacon 100 ml (via Du Nez au Palais); photo de Djavidan Hanem, deuxième épouse du  khédive Abbas II d'Égypte, née comtesse Marianne (May) Török de Szendrö, entre 1910 et 1922 (via Wikipedia).

7 commentaires:

Le critique de parfum a dit…

Quelle merveille!!!

Quelle richesse des matières, et quelle maîtrise de celles-ci.

Six' a dit…

Elcé,

Voilà, tu as tout dit!
J'ai été un peu étonnée par les réactions dans l'ensemble plutôt mitigées des perfumistas, je dois dire... c'est peut-être dû à l'omniprésence de l'oud ces derniers temps. En tout cas, Portrait est une splendeur, tant par l'exquise qualité de ses matières que par la maestria de leur agencement... du tout, tout grand Ropion.

Merci d'être passé ici! :)

Anatole Lebreton a dit…

Tout à fait d'accord! Et sur Portrait et sur Malle. Mon premier flacon des Éditions également. Je suis admiratif de la façon dont Dominique Ropion fait se répondre et se fondre les différents accords: fruits rouges, rose, patchouli, encens, bois. Du grand art!

Anonyme a dit…

Ce parfum est une splendeur. Incroyablement riche et d'une grande finesse, il a une vraie aura. Tout le monde le remarque autour de moi, il m'attire beaucoup de réflexions sans pour autant devenir agressif ou envahissant pour les autres. Sur ma peau, les notes fruitées du départ laissent vite place à une énorme rose enveloppée dans des épices exotiques. Petit à petit, la rose s'enflamme de volutes d'encens et bien que le patchouli soit très présent d'après les vendeuses c'est surtout le musc qui ressort sur moi. Un vrai coup de coeur! Lola

Alice Dattée a dit…

Juste une petite précision: l'Attar est un nom générique pour des essences qui viennent d'Inde. On en trouve une grande variété. Elles sont généralement des mélanges contenant de l'huile essentielle de santal(dont rose + santal).C'est un procédé assez complexe comme seuls savent le faire les Indiens.

Jean-David a dit…

Chère Sixtine,
Croyez-vous qu'il puisse convenir à un homme ? (Comme j'habite à l'étranger, je ne peux pas aller le sentir en boutique, et faire venir un échantillon est une entreprise un peu longue, que je préfère faire à bon escient... Or votre description me fait terriblement envie !)
Par ailleurs, je dois vous dire que les plaisirs que m'ont déjà procuré certaines oeuvres publiées chez Frédéric Malle étaient bien sensoriels, avant d'être intellectuels : en particulier Dans tes bras, mais aussi Géranium pour Monsieur et Musc Ravageur (je ne connais pas encore les autres). Ce qui me frappe, dans chacun de ces parfums, c'est le caractère très typé, marqué, signé, qui apparaît dès la première seconde ; ce sont des parfums de grand caractère, qui ne semblent pas s'inspirer des productions du moment. Mais ce sont aussi des parfums qui ont du coeur. C'est du moins ce que je ressens, mais je suis loin d'avoir votre expérience !
Jean-David
P.S. Continuez de nous faire si bien rêver !

Anonyme a dit…

Au hasard des rencontres fortuites de la vie, par un cheminement tout personnel, j'ai poussé la porte de la seule parfumerie de Bordeaux distribuant FM. Légèrement rebutée par l'aspect très sobre et laboratoire des flacons, aimant l'opulence des froufrous, je me suis au départ détournée de ses créations. La très aimable dame m'a donné un échantillon de POAL, après moults essais d'autres senteurs. Le soir venu, j'ai testé sur ma peau et ce fut l'envolée, les variations des notes qui se succèdent et se complètent sont chavirantes. j'aime particulièrement l'encens et cette rose entêtante. La tenacité est bonne mais je suis toujours frustrée par l'évaporation des notes de tête et de coeur. Reste sur ma peau un parfum gourmand de fruits rouges confits. Bref, POAL est une réelle rencontre pour moi.