[Avis] Iris Ukiyoé - Hermès



水のよな雲を透く日や菖蒲咲く


Pareil à de l’eau
Le jour à travers les nuages
Iris en fleurs.



Jean-Claude Ellena, parfumeur-maison d'Hermès, avait révélé d'emblée qu'il avait conçu la collection des Hermessences comme autant de haiku olfactifs: une orchestration de quelques notes seulement qui, derrière une simplicité de façade, ouvrent la porte à tout un univers d'émotions...  L'inspiration japonisante était là dès le début, affirmée: on se rappelle Rose Ikebana, présente dans le quatuor initial.
 
A vrai dire, la manière actuelle de J.-C. Ellena pourrait tout entière être rapprochée de grandes caractéristiques de l'esthétique japonaise: minimalisme, pureté, geste économe et infiniment maîtrisé, puissance d'évocation en quelques traits, en quelques mots. Et la tonalité impressionniste de tant de ses compositions récentes, leur fugacité même, résonneraient aussi d'échos de ces "images du monde flottant" (entendez "éphémère") - signification d'ukiyo-e, le terme japonais désignant les estampes en vogue à l'ère d'Edo (1603-1868). Des estampes que, d'ailleurs, le parfumeur collectionne...

"Iris Ukiyoé": ce neuvième tome des Hermessences est donc, en quelque sorte, à la fois cheminement logique et bouclage de la boucle. Haiku et ukiyo-e se rejoignent dans leur souci commun d'exprimer la beauté fugitive, et c'est le parfum de la fleur d'iris, ravissant et fragile, qui est recréé ici avec un art consommé d'illusionniste. Rappelons qu'au naturel, seule la senteur - poudrée-violette, splendide et glacée - du rhizome de l'iris peut être extraite, après une longue maturation, tandis que la fleur elle-même refuse obstinément de livrer son parfum...
Mais ici, J.-C. Ellena a regardé l'iris avec les yeux de Hokusai ou de Hiroshige, pour en peindre ensuite un portrait olfactif d'une exquise justesse. 
 

 
 
En réalité, les iris exhalent un parfum bien différent selon leur variété, leur couleur: certains sont pratiquement citronnés, d'autres nettement anisés... Aussi - un peu comme Edmond Roudnitska en son temps pour le muguet de Diorissimo -,  le compositeur d'Hermès s'est imprégné de la senteur des massifs d'iris de son  jardin: un camaïeu de fleurs blanches, mauves et violettes, dont il a repris les dénominateurs olfactifs communs. 

Le résultat? 
Une image idéale, platonicienne de la fleur d'iris; un presque soliflore d'une beauté simple et émouvante, qui sonne tout à fait juste.

"Presque" soliflore, parce que se détache en tête la plus jolie note de mandarine qu'il m'ait été donné de sentir depuis longtemps, une mandarine saisissante de vérité, juste un peu verte encore, chair et soupçon d'écorce.  Elle se poursuit longuement en decrescendo dans le cœur, où ses accents acidulés servent de trait d'union avec cette même facette présente dans la fleur d'iris. Graduellement, cette fleur va se deviner, puis finir par s'imposer, merveilleusement réaliste: Iris Ukiyoé se fait image délicate d'un iris de jardin tout juste mouillé de rosée. On sait que J.-C. Ellena, pour recréer le parfum de la fleur, a utilisé de la rose et de la fleur d'oranger, mais le résultat ne ressemble pas à la somme de ses parties: l'illusion est parfaite, une vraie fleur d'iris - jusqu'à la rigidité des grands pétales épanouis, suggérée comme par magie. Pour qui n'aurait pas encore eu l'heur de plonger le nez dans une brassée d'iris, disons que ce fleuri frais légèrement humide rappellerait de loin la senteur du lys et du muguet mêlés, acidulé toujours, et à peine effleuré d'un pâle et fugace souvenir de l'effet banane de Vanille Galante

Poétique instantané de nature, cette nouvelle Hermessence paraît simple comme une comptine, avec sa grâce naturelle et sans apprêt. Et elle est belle, si belle, qu'on en aurait presque la gorge nouée.



Notes de tête: mandarine, notes aqueuses
Notes de cœur: notes florales, rose, fleur d’oranger, notes vertes
Notes de fond: iris, notes boisées

Maison: Hermès
Créateur: Jean-Claude Ellena
Année de création: 2010
Famille: floral
Disponible en Eau de Toilette, vapo 100 ml (170 EUR), vapo 100 ml fourreau cuir (410 EUR), coffret de 4 vapos de 15ml (100 EUR). Uniquement dans les boutiques Hermès et en ligne sur le site d'Hermès, dès novembre.

[impression personnelle] tenue ++-  sillage ++- [à vaporiser très abondamment pour avoir un sillage] 



Haiku de Moppo Tomita ( 富田木歩, 1897-1923).
Images: flacon 100 ml (via Homme Urbain); Hokusai, Iris et Sauterelle (série des Grandes Fleurs), estampe, 1833-1834 (via Fuji Arts).

6 commentaires:

Jicky et Phoebus a dit…

C'est beau ce que tu as écrit ! Wahou !

Ca me fait penser à une phrase de Aristote "La totalité est plus que la somme des parties". C'est vrai, la note d'iris d'Ellena est, selon toi (je l'ai pas senti), un assemblage de notes qui créent une nouvelle note (oui, comme Diorissimo, tu as trouvé !)...

En tout cas, ça me donne envie car je reviens en mode iris là ! Et sincérement j'ai hâte !!! (les vacances, les vacances...)

Vive l'odorat !

Six' a dit…

Jicky,

Oui, c'est exactement ça! Je ne distingue pas l'odeur individuelle des "briques", je sens juste le parfum de toute la maison...

Ça faisait des années que je rêvais d'un parfum qui capture la senteur des fleurs d'iris (mieux qu'Omnia Améthyste, qui prétend le faire mais en est loin)... autant te dire qu'ici, c'était un ravissement!

Le Critique de Parfum a dit…

Parfois la nuit il m'arrive encore de me réveiller en sueur en pensant à la banane de Vanille Galante.

Plus sérieusement, même si j'admire Monsieur Ellena, même si j'ai une réelle affection pour lui et son travail, je ne comprends ce qui se passe chez Hermès.

L'artiste n'est plus au service de la Maison, j'ai l'impression que c'est la Maison qui sert l'artiste.

Son style a fait des merveilles avec Terre d'Hermès, et surtout les Jardins et les Colognes, mais Hermès c'est Bel Ami, 24 Faubourg et Calèche!

La marque à besoin d'un nouveau grand féminin poudré et j'espère de tout coeur que Jean-Claude Ellena ne le signera pas.

Six' a dit…

Elcé,

C'est trop drôle, je pense... exactement l'inverse! ;)

Bien sûr, depuis la nomination de J-C Ellena, tous les nouveaux parfums Hermès portent son empreinte très caractéristique; Hermès Parfums est pratiquement devenu Ellena Parfums, c'est vrai. Mais justement, je trouve que la gamme récente s'en trouve ainsi très cohérente, avec une image claire et forte. Pour moi, Hermès est peut-être la seule marque à présenter une telle uniformité dans la qualité sur le marché mainstream actuel. On sait qu'ils ne risquent pas de nous balancer un fleuri-fruité bâclé, eux...

Ceci dit, oui, ça peut aussi faire redite, à force. J'ai été déçue par Voyage, qui rappelait beaucoup trop des créations précédentes. Mais isolément, ça reste un excellent parfum, à plus forte raison pour un mainstream.

Maintenant, l'"ADN" des parfums Hermès... oui, on peut dire que ça a été le BCBG "charnu" à la Calèche (un chef d'œuvre) et 24 Faubourg (bien dans le ton). Mais entre-temps, il y a eu des hésitations, des incursions dans d'autres domaines avec plus ou moins de succès... je pense en fait que l'Eau d'Orange Verte a changé la donne, et a pavé la voie pour l'arrivée de J-C Ellena ensuite. Pour le meilleur, je pense...

Le Critique de Parfum a dit…

Six, nous sommes d'accord, J-C Ellena a fait énormément pour Hermès. C'est merveilleux vraiment : en quelques années le statut d'Hermès a changé, et je crois que les ventes se portent à merveille.

Ellena était l'homme de la situation, aucun doute possible.

NÉANMOINS, pourquoi autant tirer sur la corde? Voyage par exemple me semble terriblement inutile.

Enfin, je pense que la cohérence n'est pas un impératif absolu. Une marque a besoin d'un minimum de diversité pour exister (une des raisons pour lesquelles je ne crois pas à un seul parfumeur maison). Pour moi les Jardins, les Colognes, Voyage, et même les Hermessence s'adressent désormais a un seul type de personne.

Sans direction artistique solide, la différence entre cohérence et standardisation est ténue...

Six' a dit…

Effectivement, il me semble avoir lu il y a quelques mois sur Cosmetic News ou autres que les ventes des parfums Hermès étaient excellentes, donc l'objectif doit être atteint...

Pour le reste, comme je n'y connais rien en marketing, je ne peux que faire des conjectures... Il semble qu'il soit important pour les marques de présenter régulièrement une grande nouveauté pour rester dans l'actualité, d'où, j'imagine, Voyage. Effectivement, j'ai trouvé que celui-là n'apportait rien au discours (à part un flacon fantastique!), mais j'imagine qu'il s'agissait de s'afficher en tête de gondole...

D'accord avec toi sur le fait que les parfums Hermès s'adressent à présent manifestement à une même cible, Hermessences comprises. Je ressens un fossé nettement moins profond entre le mainstream et la niche chez Hermès, que pour la majorité des autres marques qui présentent une offre "à deux vitesses" - mais c'est aussi parce que le niveau qualitatif du mainstream est justement excellent chez Hermès! Et parce que les Hermessences sont résolument dans le même style, en poussant un peu plus dans la recherche olfactive.

J'imagine que pour une marque, cette image forte, univoque, est un grand atout. Maintenant, c'est vrai: jusqu'où pourra aller cette exploration du même sillon avant de lasser le public? Remarque, il ne semble pas se fatiguer de ces horribles sirops qui pullulent depuis trop longtemps...