[Avis] Monocle Scent One: Hinoki - Comme des Garçons

Lorsque Pierre Alechinsky a abandonné la peinture à l’huile pour l’acrylique, une chose lui a manqué: "l’enivrant parfum de la térébenthine" - au point que, selon la rumeur, il se plaisait à verser de la térébenthine sur le plancher de son atelier, pour lui redonner ce "parfum d’artiste"!

Je ne peux qu'applaudir vigoureusement: ce solvant, utilisé pour enlever les traces de peinture à l'huile des pinceaux, est aussi pour moi indissolublement lié à la Peinture... et j'ai très vite fini par aimer son odeur puissante, qui tient du pin et du White Spirit.

Et la térébenthine? Est en concentration délicieusement élevée dans ce Monocle: Hinoki, de Comme des Garçons.

Cette année, l'inénarrable maison japonaise, qui nous avait déjà offert une merveilleuse série de déclinaisons autour de l'encens et des bizarreries comme Skaï ou Odeur 53, se lance dans des partenariats avec plusieurs grandes marques de divers horizons pour leur créer des parfums sur mesure: tout, de la fragrance au packaging, sera réalisé selon les directives du partenaire.

C'est le magazine d'actualité chic Monocle qui ouvre le bal, avec un parfum créé par Antoine Maisondieu, l'un des piliers de la marque de niche Etat Libre d'Orange. "Hinoki", du nom d'une variété japonaise de cyprès, se veut parfum boisé-cèdre, inspiré par les forêts scandinaves et les onsen, bains thermaux de sources chaudes très prisés au Japon.


Notes de tête: cyprès, térébenthine, camphre
Note de cœur: bois de cèdre, bois de Géorgie
Notes de fond: encens, mousse, vétiver

En tête, la térébenthine se révèle pleinement dans un mariage des plus harmonieux avec un cyprès bien présent, ses accents mentholés soulignés d'une note de camphre.

La facette camphrée disparaît dans les notes de cœur, et cette fraîcheur envolée, arrive une senteur... d'église. Toute nippo-scandinave que soit son inspiration de départ, à ce moment, Hinoki prend réellement la senteur presque exacte de tant d'églises, une note intense d'encens mêlée à l'odeur de bois ciré de la chaire. C'est cette senteur qui prédomine en cœur, et elle est véritablement... divine.

Dans cet accord boisé, je sens à vrai dire beaucoup plus les traces assagies du cyprès, qui se prolongent depuis les notes de tête, que le cèdre qui devait prédominer. La térébenthine continue de flotter longtemps autour de ces sombres vapeurs d'encens boisé, qui n'évoluent plus vraiment, se contentant juste de décroître doucement au fil du temps - d'un temps trop court, d'ailleurs: la rémanence semble malheureusement assez médiocre.


Les amateurs de la série des encens de Comme des Garçons trouveront, dans ce Hinoki et son bel encens-cyprès, un air de famille qui devrait leur plaire. Et si, comme Alechinsky, vous aimez le "parfum d'artiste", Monocle: Hinoki ne pourra que vous ravir: jamais je n'ai senti de note de térébenthine plus prononcée dans une fragrance. L'effet de cette surdose est inhabituel, mais pas vraiment étrange, et Hinoki reste assez facile à porter, grâce à l'allure sobre du reste de la composition.
Quant à moi, ceux qui me suivent depuis un certain temps doivent commencer à connaître mon penchant marqué pour les notes boisées-encaustique (Miel de Bois, je t'aime!) et pour l'encens profond.. faut-il préciser, dès lors, que Hinoki me ravit?
Un très bel encens, parmi les plus beaux de la maison.


Maison: Comme des Garçons
Créateur: Antoine Maisondieu
Année de création: 2008
Famille: boisé
Disponible:
en Eau de Toilette, vapo 50 ml (69.50 EUR). En points de vente sélectionnés, dans les boutiques Comme des Garçons et sur le site de Monocle.

8 commentaires:

Rafaèle a dit…

Sixtine,

C'est une description bien alléchante que tu fais là ! Elle me fait penser à l'Eau Trois par la dimension d'élévation mystique qu'elle porte. Lui aussi possède cete note "térébenthine" extrêmement poussée, qui fait qu'il rebute certains (des béotiens !). Les deux jus sont-ils voisins ?
Je me désole car l'Eau Trois va disparaître du catalogue Diptyque. C'est mon parfum d'hiver. Intimiste, austère et "froid", même si paradoxalement l'encens apporte le côté brûlant d'une grande flamme claire. Il me rappelle l'atmosphère d'une église, lui aussi, et en particulier le "myrrhon", une substance que j'ai sentie dans une abbaye du Cotentin il y a fort longtemps. J'en avais même piqué quelques grains - péché véniel j'espère ;-) ! Une hérésie, cette suppression, mais sans doute pas d'un point de vue marketing hélas !
Jolie photo. Est-elle de toi ?

Six' a dit…

A vrai dire, je ne me rappelle plus bien de L'Eau Trois, je ne l'ai senti qu'en passant... mais je me rappelle l'avoir aimé sur le moment!
Diptyque a longtemps résisté à la pression du marché, en gardant des références qui ne devaient pas se vendre beaucoup (témoin L'Autre) - et je ne crois pas que nous soyons beaucoup à aimer la térébenthine!
Tu m'intrigues avec ce myrrhon... c'est la première fois que j'en entends parler, j'avoue! Tu pourrais m'en dire plus?

(et la photo ne pourrait être de moi, je suis tout à fait inepte en la matière... elle vient de Wikipédia!)

Rafaèle a dit…

Sixtine,

Je ne sais pas grand-chose sur le myrrhon, et ma recherche sur le Net n'a pas été très loquace. Dans l'Eglise orthodoxe il est également appelé saint-chrême, mais est-ce bien le myrrhon que je connais ?
C'était dans la sacristie de l'abbatiale de l'abbaye de Blanchelande (Manche). J'étais sur les traces de Barbey d'Aurevilly ;-) ! Dans une boîte, il y avait cette substance en grains, à l'odeur envoûtante, et je crois me souvenir qu'une notice en relatait l'histoire. Des "larmes" de résine, mais laquelle ? Un mélange d'encens et de myrrhe (qui sentirait la térébenthine !) ? Mystère !

By the way, je vois dans un autre post que Dzing serait bientôt rayé des listes ?! Encore une disparition qui m'attriste : c'est un de mes muscs préférés...
Va falloir constituer des stocks :-) !

Anonyme a dit…

Très belle description qui m'a fait filer à la boutique de Comme Des Garçons, place St Honoré.
J'étais curieux de découvrir cette maison depuis quelques temps - notamment à cause de la ligne encens (une de mes senteurs préférées), et votre article m'a décidé.
Sur place, je n'ai pas voulu en sentir plus de trois - Hinoki, Avignon et Thé. Ces deux derniers m'ont emballé, mais je les réserve pour l'hiver. J'ai eu un coup de foudre pour Hinoki, que je trouve très masculin par ailleurs.
MAIS, j'ai une mauvaise surprise.
Je suis reparti avec un flacon, et l'odeur de l'essai sur mon avant-bras. Pendant tout e la journdée, j'ai senti ce parfum évoluer, et abandonner ses notes de térébenthine pour laisser une plus grande place à son endeur boisé-encens. J'étais emballé.
Le lendemain, je porte Hinoki pour la première fois. Et là je constate une tenue très faible, et la nécessité de mettre une dose assez conséquente - mais qui de toute façon s'évanouti assez rapidement. Deux heures après, je faisais tester par ma compagne, qui trouve la senteur délicieuse, mais qu'il faut avoir vraiment le nez collé dans mon cou...
Faible concentration ? Est-ce possible que le flacon testeur soit plus concentré que les flacons vendus ? J'ai vraiment eu l'impression que l'échantillon testé avait plus de tenue.
Le prix étant quand même soutenu - 80 euros pour 50 ml - je suis un peu étonné de cette eau plus légère qu'une cologne.
Alors, oui, magnifique réalisation, mais fragile...

Six' a dit…

Anonyme,

Merci à vous! Ca me touche particulièrement, quand je vois que mon enthousiasme pour un parfum donne à d'autres l'envie d'y goûter...

La tenue d'Hinoki est malheureusement plutôt médiocre, effectivement, je l'avais souligné... et c'est très dommage. La seule solution reste la réapplication, mais je comprends que c'est bien frustrant!

Quant à une différence de concentration entre le testeur et le produit vendu, honnêtement, je ne pourrais pas vous répondre. La question est régulièrement posée, mais je n'ai jamais eu d'informations définitives là-dessus...

Merci de votre visite!

Antoine a dit…

Et merci pour votre réponse.

J'avais bien noté votre réserve concernant la rémanence d'Hinoki - mais je ne pensais pas qu'elle serait faible à ce point. C'est vraiment dommage. Ma compagne - qui connait très bien le Japon, me disait que eaux de toilette et parfums n'étaient pas très bien vus au Japon, en tout cas au quotidien : la crainte d'importuner ou de déranger son voisin, son collègue par une odeur trop forte. Du coup, je me demande si cette crainte - ou ce savoir-vivre ? - ne transparaît pas dans cette eau... Et j'espère que les autres fragrances de CDG ne souffrent pas de cette même timidité.

J'ai découvert votre blog très récemment et je l'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt. Soyez sûre que je reviendrai vous lire.

J'ai toujours été curieux et intrigué par les parfums : j'apprécie beaucoup vos descriptions, à la fois techniques, argumentées et sensibles. Elles montrent à quel point les parfums sont un art - et pas juste un truc qui sent bon, capables de réveiller émotions et sensations. Chacun de nos sens renferme un art, disait Lawrence Durrell...

Six' a dit…

Antoine,

Pour la tenue, ce n'est pas impossible qu'il s'agisse d'une sorte d'hommage discret, mais j'en doute... je crois que c'est plutôt un simple "défaut", hélas. Il me semble que la série des Encens soit plus résistante, mais ne me prenez pas au mot!
Le mythe circule que Mitsouko se vende bien au Japon (pardi, avec un nom pareil!) mais pour... l'exposer, pas pour le porter! D'où la sortie de Mitsouko Fleurs de Lotus, l'an dernier, qui devait mieux correspondre au goût japonais...

"Chacun de nos sens renferme un art" - la citation est délicieuse, je ne l'avais jamais entendue. Et elle est tout à fait juste. Je pense d'ailleurs que les fanatiques du cinquième sens sont de grands sensualistes en général...

flicker a dit…

Difficile de parler de manière aussi juste et précise d'un prafum. Merci.