[Avis] Serge Noire - Serge Lutens

Une explosion de camphre, de poivre. Des bâtons d'encens se consument lentement.

Parfum de femme? 
Non, celui-là est un homme. Un homme austère - un ermite? Rigide, il est lame inflexible.

Pureté, ascèse.

Sumi-e, tracé d'encre noire sur papier blanc. Très noire, profonde. D'une profondeur élévatrice.

Il s'humanise par infimes degrés, se teinte d'anthracite.

Méditation.

Fumée et cendres. Le souvenir d'un feu d'artifice.

L'encens monte, se disperse, s'adoucit.

Il grésille, gris.

Se féminise.

Le benjoin chuchote derrière l'encens.



Voilà quelles étaient mes premières impressions en découvrant Serge Noire, le nouveau parfum haute concentration de Serge Lutens, à sortir prochainement dans la gamme export.

Ce parfum, le plus personnel, le préféré de Serge Lutens, du propre aveu du maître (d'où, d'ailleurs, son nom) est d'inspiration double. Il évoque d'abord sa vision du Japon et, curieusement, revient ensuite sur son parcours dans le milieu de la mode il y a trente ans: atmosphère feutrée, silencieuse, et tailleurs de serge noire rigide, le tissu dont on faisait les soutanes, se découpant sur des teints pâles...

Le communiqué de presse, onirique et nébuleux à l'habitude, décrit de belles éthérées, parle de phénix et de cendres, de "poussières dans un ballet de flammes", d'"oriental gris"... et cette dernière appellation reflète à merveille, pour moi, la nature de Serge Noire.

Le départ de la fragrance est incisif: le camphre s'exhale en une intense bouffée froide, amère, médicinale. Derrière lui se déploie amplement un encens pur et clair, sec, qui a la transparence de l'encens japonais.
Le camphre perd rapidement de sa puissance, mais reste bien présent, tandis qu'à l'encens vient se mêler une curieuse tonalité fumée qui tient de la poudre à canon, du feu d'artifice, et de l'encre de Chine, dont elle partage aussi le côté presque minéral.

Fumée blanche, encre noire: à ce stade, Serge Noire parvient à représenter olfactivement la dualité chromatique évoquée. Le contraste est rigide, austère.
A mesure que le camphre s'estompe, la fragrance s'apprivoise. Tandis qu'un fond boisé lui donne une assise, un benjoin doucement vanillé monte, s'amplifie, se marie à l'encens, qu'il réchauffe très légèrement.

Le noir fait alors place à l'anthracite: Serge Noire, pour le reste de sa tenue, se fait cendré, tant dans sa couleur que sa texture.
L'encens, fil rouge de la fragrance, se prolonge jusqu'au bout, adouci, tempéré par un benjoin ambré, une pointe de cannelle.

La description était bien juste: c'est un oriental gris.


Que dire de ce nouvel opus?

C'est, d'abord, indubitablement un Lutens, le style en est bien reconnaissable. Camphre, encens, cendres: tous ces aspects ont déjà été traités dans l'un ou l'autre parfum de la gamme... mais ce n'est pas pour autant un "retour sur le même thème", comme par exemple Five o'Clock renchérissait, pour moi, sur la base de Rousse. Bien au contraire, Serge Noire a une identité propre, marquée et remarquable.
Il ne continue pas non plus sur la tendance à une plus grande accessibilité qui caractérisait les dernières sorties de la maison: les premières minutes ont l'intransigeance d'une Tubéreuse Criminelle, et risquent d'effrayer les non-initiés. Il se tempère un peu par la suite, c'est vrai, surtout en fin de tenue où le fond orientalisé l'adoucit, mais il reste très particulier.

Cette Serge Noire, je l'ai trouvée austère et pure, méditative. Structurée et précise, elle est faite de lignes droites, d'aplats monochromes qui se succèdent, du noir profond au gris feutré.
La rumeur veut que sa conception ait pris dix ans, et si c'est vrai, je comprends aisément pourquoi. Pour moi, c'est l'un de ces rares parfums qui ont un réel impact émotionnel: celui-ci purifie, élève l'âme.

Je l'aime profondément.
A mon avis, l'un plus beaux Lutens de ces dernières années.
 
 
Maison: Serge Lutens
Année de création: 2008
Famille: oriental boisé encens
Disponible en Eau de Parfum haute concentration, vapo 50 ml (95 EUR), en parfumeries sélectionnées.
 

 

9 commentaires:

Anonyme a dit…

merci de cette belle description, Serge noire et El attarine feront partie de mes prochains achats sans auncune équivoque. Je suis heureuse de voir qu'il ne s'agit pas de redite comme pour Rousse et Five (qui se succédent comme une cascade mais que j'apprècie beaucoup quand même).

Anonyme a dit…

Ton blog est sublime ...

Perfumeshrine a dit…

J'ai pris la liberte de faire un lien, en rapport d'une prevue de SN. J'espere que c'est d'accord avec toi. C'est une revue magnifique!

Six' a dit…

Vero,

Pour moi, Serge Noire va venir rejoindre ses petits frères dès sa sortie, c'est sûr et certain! Il est vraiment très, très beau. J'aimerais pouvoir en dire autant d'El Attarine, dont la description était si alléchante, mais que je ne comprends absolument pas au final... l'avez-vous déjà senti?


Eve,

Grand merci à toi! :)


Helg,

Avec grand plaisir, et c'est un honneur!
Je suis impatiente d'avoir ton avis sur Serge Noire, que je trouve vraiment superbe... mais les ressentis semblent vraiment varier d'une personne à l'autre, d'autres l'ont trouvé sans grand intérêt!

Anonyme a dit…

non Six, je ne les ai pas encore tester mais pour Lutens, je sais quand je peux acheter les yeux fermés, en voyant les compositions, je sais si ça me plaira ou non.
Par exemple, j'ai commandé sans le tester "Mandarine mandarin" et ça a ete vraiment un beau coup de foudre, je n'ai pas commandé "Sarrazin", j'ai eu l'occasion de le tester ensuite, et effectivement j'avais bien fait ;)
Possédant les 3/4 des Lutens, maintenant je connais assez son style , son esprit pour commander en fonction des descriptions, ainsi que les review sur les blogs, et je sais que El Attarine me plaira beaucoup, ainsi que Serge Noire.

Six' a dit…

Vero,

Pareil pour Mandarine Mandarin, je l'ai beaucoup aimé! Mais je dois dire que j'ai beau bien connaître la plupart des Lutens, je suis malgré tout toujours suprise!
En tout cas, avec le recul, je suis encore plus séduite par Serge Noire, vraiment exceptionnelle... vivement septembre!

Anonyme a dit…

Aujourd'hui j'ai pu sentir "Serge Noire", la description que vous en donnez correspond a mon ressenti, un encens chaleureux, un départ camphré, je trouve d'ailleurs que le camphre s'étire et s'allonge sur ma peau et j'aime cette odeur, de douces notes vanillées non sucrées se mélent à l'encens...oui chaleureux plutôt que chaud, limite tendre, je sens de la tendresse dans ce parfum...j'aime beaucoup, pas un craquage olfactif mais c'est vraiment un beau parfum, par contre je ne le trouve pas austère, je le trouve vraiment doux, enveloppant, apaisant même. Voilà le mot qui lui correspond pour moi, apaisement...On se pose là en un point, on contemple, on laisse passer le temps, suspendu entre 2 secondes, au delà du temps,une bulle entre 2 espaces, un parfum contemplatif.
Mon époux quant à lui a eu un veritable coup de foudre pour ce parfum, tant mieux, du coup, je pourrais lui voler ;)

Six' a dit…

Vero,

Je crois que c'est sa première heure qui me donne cette impression d'austérité, et ces vapeurs d'encens transparent... mais le benjoin le réchauffe effectivement par la suite, et c'est ce stade de son évolution que je préfère! Je n'y ai par contre pas senti de tendresse, je lui trouve un certain dépouillement dans toute son évolution... mais je crois que les ressentis sont particulièrement divergents pour ce Serge Noire, j'ai lu des avis qui allaient dans tous les sens, il doit vraiment évoluer très différemment sur la peau selon la personne!

En tout cas, contente qu'il ait au moins fait craquer quelqu'un dans la maisonnée, il le mérite!

Merci d'être revenue partager vos impressions!

Anonyme a dit…

Bonjour, pourriez-vous me dire combien de temps on peut conserver les parfums Serge Lutens ? merci pour votre réponse