[Avis] Un Jardin sur le Toit - Hermès

 


Quand arrêter une formule qui gagne?

La collaboration entre Jean-Claude Ellena, monsieur First, Déclaration ou Eau Parfumée au Thé Vert, et le sellier synonyme de l'hyper-luxe à la française s'est révélée, à bien des égards, une réussite totale. En prenant les rênes de la création chez Hermès, J.-C. Ellena a apporté une cohérence à une gamme de parfums qui en manquait assez nettement jusqu'alors. Sa manière d'aquarelliste, son parti-pris de ne jamais utiliser de matières au rabais ont donné naissance à de (très) beaux parfums limpides, d'une élégance légère et très actuelle. Et ce, tant dans la collection de niche, où Hermès s'est positionné en précurseur avec ses Hermessences, que - joli tour de force - dans le mainstream où les Jardins, les Colognes et le triomphe Terre d'Hermès sont autant de précieux îlots de qualité perdus au milieu d'un fleuve de sirops.
Manifestement, le public a adoré. Le chiffre d'affaires d'Hermès a explosé ces dernières années, en grande partie grâce aux parfums - la croissance a même atteint 25%! 

Mais pour les perfumistas, ce ciel bleu comme une orange n'est pas sans nuages. 
Les Hermessences ne font pas l'unanimité - beaucoup les jugent trop dépouillées, trop simples, trop éphémères. Tiens, la fugacité? C'est précisément l'un des grands reproches adressés aux compositions récentes de J.-C. Ellena (la palme revient sans doute à L'Eau de pamplemousse rose et sa tenue d'une demi-heure (!)).
Pour d'autres encore, il n'y a pas assez de chair, voire d'âme, dans ces parfums d'eau et de vent... 

Pour ma part, je n'ai jamais vraiment partagé ces griefs: même si peu de ses créations correspondent à mes goûts personnels, j'admire profondément le style de J.-C. Ellena.

Seulement voilà, cette fois, je ne peux que me rallier à une opinion de plus en plus répandue chez mes "confrères" (et "-sœurs"): on commence à avoir l'impression de tourner en rond. Voyage d'Hermès avait été, pour moi, le premier à pécher: isolément, c'était un très beau parfum, bien conçu, très agréable à porter, mais dont les trop nombreux emprunts aux œuvres précédentes du Maître laissaient l'impression d'être face à une sorte d'Ellena Megamix.

Le prochain lancement grand public d'Hermès, Un Jardin sur le Toit, vient malheureusement renforcer ce sentiment.




Ce quatrième (et vraisemblablement dernier) Jardin est un retour aux origines, après les précédentes escales tunisiennes, égyptiennes et indiennes: le toit en question est celui du 24, faubourg Saint-Honoré, l'adresse mythique du sellier. Un jardin clos, parisien, herbes vertes et terre humide, où les moineaux viennent s'abreuver sous l'œil bienveillant de Yasmina le jardinier. On nous promet de croiser, au fil de notre promenade haut perchés, des senteurs de pomme, de poire, de magnolia et d'herbes folles...

Comme les autres Jardins, la composition est fraîche, verte, indéniablement qualitative. Mais là où elle en diffère, c'est qu'elle n'a pas cette personnalité forte, très reconnaissable, qui s'imposait d'emblée chez ses prédécesseurs: pas de feuille de figuier, pas de mangue verte, pas de melon d'eau effervescent pour venir la singulariser... de sorte que, sans donner dans la redite pure et simple, Un Jardin sur le Toit semble souvent vaguement, mais assurément, familier. Tous les ingrédients de la recette Ellena sont là, avec sa légèreté humide, sa luminosité, son grand souffle aérien. On y retrouve, si mon nez ne m'abuse, ses traditionnels incontournables, abondance d'hédione et de muscs blancs, ainsi que des rappels plus ou moins discrets de protagonistes passés: fantôme de gingembre, éclat de pamplemousse rose. 

Dans l'interprétation présente, les premières notes, aigrelettes, sont dominées par une pomme verte, fraîche, avec un petit côté shampooing. La facette citronnée du magnolia vient la rejoindre, le bouquet se garnit de roses délicates et doucement fruitées, se teinte d'une menue amertume. Curieusement, l'association m'évoque la senteur des grains de grenade à même le fruit ouvert...
Au fil du temps, une note de basilic/feuille de tomate s'affirme, ajoute à l'ensemble une dimension aromatique-végétale assez intéressante, mais sans le rendre vraiment mémorable. Les contours restent flous, et il m'a fallu tester ce Jardin bien des fois avant de pouvoir mieux le cerner.

Au final? Le parfum est au bout du compte assez - et subtilement - complexe, mais surtout très frais, très propre sur soi, très agréable - très Hermès Nouveau, en somme, et vastement supérieur à 95% de ce qui est proposé en Séphonnaud. Mais à mon goût, ce quatrième tome n'ajoute rien d'essentiel à une histoire jusque là haute en couleurs (à l'eau), et je regrette de ne plus ressentir le même ravissement qu'au début, avant que l'affirmation du style ne devienne traçage du même sillon... je m'en retourne donc allégrement à mon exquis Iris Ukiyoé, à qui - ironiquement - beaucoup ont fait le même procès, mais qui me ravit encore et toujours.


Composition: [non-officielle] pomme, poire, magnolia, herbes, basilic, humus

Maison: Hermès
Créateur: Jean-Claude Ellena
Année de création: 2011
Famille: fleuri-fruité-vert
Disponible en Eau de Toilette, vapo 50 ml (65 EUR) et 100 ml (90 EUR). D'abord en exclusivité dans les boutiques Hermès dès le 25 mars, puis disponible début avril en parfumerie.

[impression personnelle] tenue +--  sillage +-



Images: flacon 100 ml d'Un Jardin sur le Toit (via L'œil est à vous); toute la série des Jardins (via Bioutibox).

7 commentaires:

Poivrebleu a dit…

Aaaah Six,
Je suis contente que tu partages mon avis sur ce Jardin! J'apprécie pour ma part qu'il puisse y avoir débat sur les créations et le style de JCE, cela montre au moins que ceux-ci sont dignes d'intérêt, contrairement à d'autres lancements sur lesquels nous serons tous unanimes malheureusement.

Tu sais mon sentiment par rapport à cette oeuvre (dans son ensemble), j'apprécie pour ma part la façon dont tu la défends. Et je me dis que si même toi tu finis par être lassée de ces répétitions, c'est peut-être parce qu'il y a effectivement un soucis.

Mais tu sais, finalement, je suis comme toi, j'attends toujours ardemment une création de Jean-Claude Ellena. Parce que je sais de quoi il est capable... A l'arrivée je suis très souvent déçue, mais j'ai toujours espoir que la prochaine fois, il me surprenne.

vizcondesadesaintluc a dit…

Bonsoir Six,

J'attends avec impatience la sortie de ce parfum en Espagne. On verra. En tout cas je porte le premier parfum signé JCE, Eau de Campagne de Sisley. Je n'arrive vraiment pas à changer, je ne m'en lasse jamais. Je dois avouer que ses toutes dernières créations n'arrivent pas à me toucher de la même façon.
Salut.

Salut

Jicky et Phoebus a dit…

Sixtine !!!!!

Ca faisait tellement longtemps que je t'avais pas dit que je t'aimais :D !

Puis bah je te le dis : je t'aime !

Sinon, tous ces chiffres sur Hermès sont vraiment très interessants ! JCE n'innovent plus trop apparemment. C'est pas nouveau.

Je n'ai pas senti encore ce jardin, mais il promet. JCE a été le premier parfumeur dont j'ai reconnu la marque, personnellement. Faut dire que son écriture est trèès particulière. Mais je le pense capable d'inventer encore ! Je pense qu'il serait bon pour lui de changer de registre. Finis les hespéridés aromatiques ! Tiens, passe à un boisé !!! Un santal puissant made in Ellena, ça pourrait être interessant !

Quant à Iris Ukioyé, c'est pour moi aussi un grand coup de coeur ! Aussi décrié qu'il soit, je le trouve original, bien fait et beau !

Bisous =)

Jicky

Six' a dit…

J,

Exactement, le fait même qu'il y ait débat plutôt que désintérêt montre déjà que les parfums signés Ellena sont intéressants! On attend sûrement plus de lui parce qu'il a déjà mis la barre de la qualité bien haut...

En fait, comme je l'ai dit, ses parfums correspondent rarement à mes goûts (je porte surtout l'Ambre Narguilé, pas vraiment représentative!), mais je respecte sa maîtrise, son sens du style, sa recherche. Mais est-ce que sur la longueur, le style ne risque pas de finir dans la redondance?
En fait, maintenant, je crois que je n'ai plus vraiment l'espoir d'être surprise - je m'attends plus ou moins à une nouvelle interprétation de la "recette"... en espérant qu'elle soit aussi charmante que l'Iris Ukiyoé! (;-))

Jicky et Phoebus a dit…

Senti !

Perso, je m'attendais à pire... mais je suis pas du tout conquis. Je sais pas, mais dans le fruité, Ellena a fait mieux ! Puis il a trop le côté "In Love Again", qui m'évoque Rose Ikebana. Mais bon, c'est pas mauvais !

Quant à Iris Ukiyoé, je suis plus que conquis personnellement ! Je suis largement de ton côté, comparé à Juliette et Jeanne ^^

(mon papa porte Ambre Narguilé :D !)

Vive l'odorat !

Six' a dit…

vizcondesadesaintluc (en copi-collant!)

J'ai déjà entendu plusieurs avis dans ce sens, qui préféraient nettement l'Ellena de la première époque, et en particulier l'Eau de Campagne... il y a bien longtemps que je ne l'ai sentie, vous me donnez envie d'y replonger le nez! En tout cas, quand un parfum parvient à vous surprendre, à vous intéresser encore et toujours à travers les années, c'est pour moi le signe que c'est un grand parfum.

Et je peux concevoir que le style actuel de JCE puisse ne pas toucher émotionnellement. C'est une manière recherchée, travaillée, ciselée, qui peut ressembler à de l'exercice de style, loin de la parfumerie de chair et de tripes - que je préfère personnellement. Mais parfois, je trouve quand même de la magie, l'instant de grâce dans l'éthéré-ciselé... Iris Ukiyoé, toujours!

Merci de votre visite!

vizcondesadesaintluc a dit…

Bonjour Six,

Je viens tout juste de relire votre réponse à ma visite au sujet du nouveau Jardin sur le Toit et le tout premier travail de JCE l'Eau de Campagne. J'aimerais bien lire une opinion de la part des français car, en Espagne, c'est un parfum extrêmement apprécié par sa fraîcheur verte et tenace (surtout quand vient l'été).
Si par hasard vous revisitez ce parfum il faut que vous teniez compte de plusieurs choses:
- Sisley a reformulé le parfum en 2003-2004 et le jus est devenu encore plus vert et a gagné une extraordinaire ténacité par rapport à la formule précédente. (Flacon translucide, dessin vert et blanc, 122 ml)
- Sisley a reformulé à nouveau en 2009-2010 et à partir de ce moment le parfum ressemble davantage à la formule d'origine signée JCE. Le jus continue d'être tenace comme celui de la formule 2003-2004 mais les notes de tête ont changé légèrement. Les notes de fond restent les mêmes, le parfum qui reste sur la peau est le même mais, lors de son évolution, il diffère un tout petit peu. (Flacon transparent dessin et lettres blancs, 100 ml).
Après la dernière reformulation j'ai écrit à Sisley en me plaignant et ils ont répondu à mon e-mail en me disant qu'ils avaient effectivement reformulé et en demandant de leur faire confiance. J'ai été vraiment surprise d'avoir une réponse semblable de la part d'une maison comme Sisley. J’ai décidé donc de leur "faire confiance", j'ai testé le parfum sur ma peau et je ne suis pas fâchée du résultat.
Je vous prie de ne pas oublier que je teste le parfum à Madrid (un climat très sec, très froid en hiver et très, très chaud en été: de quoi gâcher un parfum !) Tout de même Eau de Campagne tient le coup même à 44-45 degrés.
En ce qui concerne la ténacité: je teste le parfum sur la peau et il faut dire que, sur ma peau, même des Eaux du genre Acqua di Parma tiennent parfaitement en hiver et suffisamment bien en été pendant des heures. Si par hasard je n’aime pas finalement ce que j’ai testé, la senteur qui demeure sur ma peau tout au long de la journée, risque de devenir insupportable !
Autre chose pour finir, si je vous ai donné vraiment l'envie de revisiter ce parfum, je vous conseille également de tester la ligne corps (le gel de bain d'une part et la crème et l'huile de l'autre). L'odeur est une odeur à part, disons complémentaire, mais, si délicieuse qu’elle mérite vraiment une critique.
A bientôt!