[Avis] Après l'Ondée - Guerlain

Comment parler d'Après l'Ondée?

Les superlatifs me manquent. Rien ne pourrait rendre un hommage suffisamment juste à ce qui est assurément l'un des plus grands parfums de tous les temps.

Plutôt qu'un parfum poétique, Après l'Ondée est la Poésie faite parfum, une émotion délicate, un murmure lumineux traduits en senteurs.

Avec cette composition de... 1906, Jacques Guerlain avait voulu peindre le "tableau olfactif d'un paysage champêtre à nouveau baigné par les rayons du soleil, juste après la pluie". La réussite est éblouissante... et ce paysage-là est féerique.

La pluie de printemps est passée, laissant dans Après l'Ondée une fraîcheur qui ferait presque frissonner. Le soleil brille à nouveau, timide, fait scintiller les gouttes d'eau, baignant la fragrance d'une blanche et froide luminosité. Les fleurs délicates, poudrées, exhalent un doux parfum pastel, en camaïeu de parme, lilas et mauves. Des elfes se cachent dans les sous-bois humides...


Notes de tête: cassie, notes anisées
Notes de cœur: violette, œillet
Notes de fond: racine d'iris, vanille

[et/ou, selon les sources: aubépine (aldéhyde anisique), bergamote, néroli, citron, mimosa, héliotrope, jasmin, rose, ylang-ylang, benjoin, ambre, musc, santal, vétiver]


Les premières notes résonnent d'accents anisés, teintés d'une infime touche aromatique, d'une pointe citronnée, et qui se poudrent de duveteuse fleur de cassie, parente du mimosa. La violette du cœur et l'iris des notes de fond, surtout, se laissent déjà deviner: dès le début, Après l'Ondée s'offre tout entier.

Il varie ensuite bien peu; à peine les notes anisées finissent-elles par s'estomper... La violette y est délicate, fragile et naturelle; l'iris, lui, déploie largement ses couleurs de frimas, mais sans excès, tandis qu'un oeillet discret apporte une très menue touche épicée. En fin de tenue, une note de vanille commence timidement à poindre, mais elle ne reste qu'un chuchotement derrière l'iris.


L'ensemble compose un tableau impressionniste merveilleusement harmonieux, tout en teintes fraîches et poudrées, humides et claires. Et au contraire des chefs d'œuvre ultérieurs de Jacques Guerlain, riches et épais de matière, il donne une impression de simplicité, de légèreté extraordinaires pour l'époque à laquelle il a été créé, mariant ainsi un charme délicieusement rétro et une facture étonnamment moderne.

La seule concentration disponible aujourd'hui est l'eau de toilette, dans un de ces flacons-vapos "abeille" qui hébergent les grands Guerlains tombés au purgatoire. Elle est merveilleuse, son sillage est très ample, mais sa rémanence tragiquement fugace. Au bout de quelques petites heures à peine, elle s'est déjà évanouie... plusieurs retouches sont indispensables sur la journée.

L'extrait, lui, a été vendu pendant près d'un siècle, le plus récemment dans un charmant flacon "Louis XVI", en forme de corbeille de vannerie, qui lui est resté associé. Il a été retiré de la vente il y a une dizaine d'années, victime des réglementations européennes, et atteint à présent des sommets ahurissants sur Ebay...
Il était, à vrai dire, assez particulier.
Sa concentration, déjà, était très légère pour un extrait: 11%, ce qui correspond plutôt, d'ordinaire, à une eau de parfum. Un article de L'Express apporte des précisions intéressantes: l'extrait d'Après l'Ondée serait ainsi le fruit d'une expérimentation de Jacques Guerlain, qui aurait laissé macérer dans l'alcool les matières naturelles qui pouvaient l'être (iris, citron et bergamote, vanille, santal), puis aurait mélangé le produit obtenu sans les diluer, procédé unique.

Cet extrait désormais si convoité est effectivement d'une beauté saisissante. Pourtant, il mêle à son iris-violette anisé une note marquée de santal qui réchauffe et assèche considérablement l'ensemble, et l'effet produit est assez différent, l'évocation de la nature humide s'éloigne... il paraît - forcément - plus concentré, moins aérien.
Sa ténacité, par ailleurs, ne semble pas bien supérieure à celle de l'eau de toilette (probablement en raison de son mode d'application, par touches plutôt que par vaporisation, plus abondante).


La beauté d'Après l'Ondée a marqué l'esprit des parfumeurs: Jacques Guerlain lui-même le prolongera dans L'Heure Bleue, tandis qu'il connaîtra des réinterprétations modernes dans deux sens opposés, avec Insolence, qui accentue sa violette en la sucrant, et L'Eau d'Hiver de J.-C. Ellena, parue chez Frédéric Malle, qui l'épure au maximum.
Quant au grand public, il semble ignorer son existence, tout perdu qu'est ce pauvre flacon aux bas des rayonnages des parfumeries, à côté de Mitsouko et de Chant d'Arômes... un crève-cœur.

Il y a dans Après l'Ondée la pureté des notes limpides d'un Prélude ou d'une Image de Debussy, l'écho nostalgique et cristallin des Gnossiennes de Satie... on imagine aussi un paysage d'hiver, tout en teintes douces et froides, peint par le Monet de la dernière manière.
Un merveilleux parfum.




Claude Debussy - Préludes I - 4: Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir



Maison: Guerlain
Créateur: Jacques Guerlain
Année de création: 1906
Famille: floral oriental - floral poudré
Disponible en Eau de Toilette, vapo 100 ml (82 EUR), en parfumerie (parfois difficile à trouver; insistez!)


Images: Le Figaro

7 commentaires:

Octavian Coifan a dit…

Je pense que l'article de l'express veut dire que par rapport au présent, jadis on ne préparait pas de concentré mais tout était déjà moitié dillution: teinture d'iris, jasmin lavage, teinture benjoin, etc... Après l'ondée n'est pas un mélange de marmite, quand même. :) 3 notes de synthèse importantes dans le parfum: isoeugénol, anthranilate de methyl, aldéhyde anisique.
L'extrait je l'achetais encore dans la boutique Guerlain vers 1999-2000. Quelle magnifique note iris!

Anonyme a dit…

je vais ressortir mon vieux flacon de l'armoire, une edt en recharge, elle doit avoir une dizaine d'année, honte à moi il y a longtemps que je l'ai delaissé, le souvenir est flou dans ma memoire, grace a ton article ,je m'y repencherais peut etre demain en esperant que le parfum n'ait pas viré

Six' a dit…

Octavian,

Merci pour ces précieuses informations!

L'isoeugénol correspond à la note œillet et l'aldéhyde anisique aux notes anisées/aubépine, c'est bien ça? Par contre, l'anthranilate de methyl, j'avoue ne pas connaître...

C'est vraiment désolant que cet extrait ait dû être retiré de la vente...
L'eau de toilette est si ravissante, pourtant, que je m'en contenterais volontiers, sa fraîcheur humide correspond parfaitement, je trouve, au thème du parfum. L'effet plus sec et plus chaleureux du santal de l'extrait, que j'ai découvert après l'eau de toilette, m'a désarçonnée au premier abord, j'en aurais presque préféré l'eau de toilette... mais en les comparant côte à côte, l'extrait paraît plus cohérent, plus harmonieux. Et effectivement, l'iris y était superbe!


Véro,

Scandaleux! ;)
J'espère que ton flacon n'a pas tourné, s'il a été bien conservé, il ne devrait pas y avoir de problème!

Anonyme a dit…

il est toujours aussi joli :) oufff!!! cette note iris violette poudre seche et superbe, pourquoi l'avais je oublié ?

Anonyme a dit…

J'ai découvert Après l'ondée il y a presque un quart de siècle (gloups cela ne me rajeunit pas!) uniquement sur le nom que je trouvais délicieux parce que j'adore me promener dans les chemins après le pluie quand le soleil repointe son nez. Je ne pouvais pas le sentir, il n'y avait pas de testeur, seulement à l'achat un flacon d'eau de toilette de 250ml ou le parfum en 30ml. Je l'ai donc eu en cadeau pour un anniversaire, en parfum. J'ai toujours le flacon, il n'y a plus de parfum mais quand on ôte le bouchon, la merveilleuse odeur est toujours là, délicate, elle ne me semble pas avoir tourné, c'est la note anisée qui persiste le plus...Et depuis j'ai toujours un flacon d'eau de toilette en cours ou en réserve car pour moi c'est une promenade après la pluie, avec le soleil qui réapparait et toutes les odeurs des bords du chemin au printemps qui sont dilatées par l'eau et le soleil: les violettes, l'aubépine...
Quelle bonne idée d'avoir associé Après l'ondée à Debussy. Ecoutez le pianiste Arturo Benedetti Michelangeli inégalable dans Debussy (Images "cloches à travers les feuille" et "et la lune descend sur le temple qui fut"): c'est d'une finesse et d'une poésie extraordinaire comme ...après l'ondée.

Six' a dit…

Agnès,

Quel bel hommage à ce si joli parfum! Il est vraiment d'une poésie rare... L'extrait était effectivement si beau! Je n'en ai plus, moi non plus, que quelques gouttes, hélas...

Et quelle coïncidence, ma version des Images est aussi de Michelangeli! J'aime énormément son interprétation, même si j'ai un faible pour Richter... J'avais justement envisagé de mettre la version de Michelangeli de "La fille aux cheveux de lin", à la gaieté que je trouve finalement assez appropriée à Après l'Ondée...

Anonyme a dit…

Des années que j'hésitais à l'acheter .. allant le sentir irrémédiablement au bas des rayons des grandes enseignes ... le trouvant trop léger, ne tenant pas sur moi ...
Et j'ai sauté le pas, lisant et relisant sans cesse cette jolie description que vous en faite.
Je l'ai reçu ce matin ... un rêve !
Je le sens au creux de mon poignet, je ferme les yeux et je me sens apaisée.
Assurément le seul parfum qui m'inspire ce sentiment de bien être ...
Pourtant habituée aux jus de caractère (aromatic Elixir, Samsara, Santal blanc de Lutens etc etc) ''Après l'Ondée'' me rassure et, presque égoïstement, ravie que ces effluves n'innondent pas mon entourage ... je garde pour moi seule toute la beauté de ce parfum ...

Moi qui recherche des parfums pas ou peu connu du grand public (fan de Lutens), je retrouve cet étrange sentiment d'être unique avec ''après l'ondée'' !