[Au coeur des notes] Le lys dans la vallée



- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.



Si Rimbaud comparait la tragique figure de la belle Ophélie au lys, c'est que la grande fleur blanche, immaculée, est depuis longtemps devenue pour nous symbole de pureté, de candeur, d'innocence, de vertu, voire de chasteté. Étrange, dès lors, que cette compagne des Madones exhale une senteur si capiteuse...

Le lys, ou lis, est une fleur de la famille des Liliaceae (regroupant aussi les tulipes), appartenant au genre Lilium. Ce genre englobe un grand nombre de variétés différentes et, si le plus emblématique reste le majestueux Lilium candidum, notre lys blanc ou lys de la Madone si délicieusement parfumé, il côtoie aujourd'hui Lilium longiflorum, aussi appelé lys de Pâques, aux fleurs en forme de trompette, les grands lys orientaux dont le Stargazer au parfum si puissant, le martagon aux petites fleurs tombantes, et bien d'autres encore.

Originaire des zones tempérées de l'hémisphère nord, le lys a laissé ses traces dès l'aube de notre histoire: il orne les murs des palais de Cnossos, et il est l'emblème de la déesse grecque Héra. La légende veut d'ailleurs que le nourrisson Héraclès, allaité à satiété, avait tété si vigoureusement que le lait de la déesse continua à couler. Les blanches gouttes qui se répandirent dans le ciel formèrent la Voie Lactée, tandis que celles qui touchèrent terre donnèrent naissance à une grande fleur immaculée: le lys. D'aucuns murmurent même que c'est Aphrodite, jalouse de la beauté de la nouvelle pousse, qui l'affubla alors d'un pistil obscène...

Les Anciens, en tout cas, ont été séduits par son odeur. Aussi peut-on voir, sur un relief égyptien du Louvre, tout le processus de création du parfum de lys, de la cueillette au flaconnage, en passant par l'extraction.



Peut-être est-ce là la préparation du fameux susinum, parfum de lys additionné de cannelle, cardamome et myrrhe, dont la popularité dépassa les frontières de l'Egypte? Les élégantes Romaines, elles, pouvaient aussi choisir, parmi les différents parfums à leur disposition, une composition centrée sur le lys: le Lirium. Pline L'Ancien, dans son Histoire Naturelle, nous dit d'ailleurs que de son temps (Ier s. ap.J.-C.), on extrayait du lys "des essences et des huiles que l'on appelle lirinon".

Rien d'étonnant à ce que le lys ait connu un tel succès dès les balbutiements de la parfumerie: la puissante senteur qu'exhalent ces grandes fleurs à l'état naturel est interpellante. Elle est, avant tout, d'une suavité caractéristique, si moelleuse, si intense, qu'elle en devient presque langoureuse. Résolument épanoui, le crémeux un peu cireux du parfum du lys se fait solaire, nuancé, chez certaines variétés, d'une touche épicée. In cauda venenum, pourtant: au cœur de la blanche senteur de cette fleur virginale se cache une note... salée, animale, presque carnée!

Inutile de souligner que ce dernier aspect n'a guère été utilisé par les parfumeurs modernes, et ce, d'autant plus aisément que la senteur du lys, autrefois obtenue par macération des fleurs dans une huile, n'est plus aujourd'hui extraite de la plante même. La note "lys" utilisée dans les parfums actuels est capturée par la technique du headspace ou reconstituée en utilisant d'autres essences naturelles et/ou molécules (notamment de type lyral, aussi utilisé pour recomposer l'odeur du muguet, et des salicylates, pour le côté solaire), en gommant généralement les aspects les plus opulents de la fleur naturelle.

C'est ainsi que, note parmi d'autres dans une composition, le lys va souvent être épuré, allégé, ne conservant que sa blanche douceur, parfois accentuée d'un voile vanillé-poudré, tel qu'il se retrouve aux premières loges du bouquet floral d'Anaïs Anaïs de Cacharel, tendre et innocent.

Les soliflores présents sur le marché, eux, vont tendre à en présenter une image plus complète, mais chacun semble prendre le parti d'en accentuer l'une ou l'autre facette. Ainsi, Un Lys, de Serge Lutens, en amplifie la douceur, l'enrobe de vanille, pour composer un parfum véritablement angélique. À l'opposé, Edouard Fléchier a opté pour l'hyperréalisme dans son Lys Méditerranée pour Frédéric Malle: c'est toute la fleur qui est présente, avec la verdeur de la tige, le côté indolé-carné mis en lumière crue et souligné par une note salée d'embruns. À mi-chemin, Lily & Spice de Penhaligon's est peut-être l'interprétation la plus évocatrice de Lilium candidum: il en reproduit fidèlement toute la suavité et l'assombrit tout juste d'épices douces en s'alanguissant sur la peau...


Soliflores lys: Lily & Spice de Penhaligon's, Un Lys de Serge Lutens, Lys Méditerranée de Frédéric Malle, Des Lys d'Annick Goutal (retiré de la vente), Pur Désir de Lys d'Yves Rocher (retiré de la vente), Esprit de Durance - Lys Blanc de Durance

Quelques parfums où la note de lys est particulièrement présente: Lys Carmin de Van Cleef & Arpels, Anaïs Anaïs de Cacharel, Le Lys Angel de Thierry Mugler, Gold de Donna Karan, Vanille Galante d'Hermès, Murmure de Van Cleef & Arpels, Ange ou Démon de Givenchy, Grand Amour d'Annick Goutal, Dis-Moi, Miroir de Thierry Mugler,...


Sources: A. Le Guérer - Le Parfum: des origines à nos jours, A. de Gubernatis - La mythologie des plantes , Wikipedia, 1000fragrances, Musée du Louvre, Osmoz, Wikisource

Images: Lilium candidum (Types of flowers); relief représentant la préparation du parfum de lys, règne de Psammétique II (VIe s. av. J.-C.), 26e dynastie (Musée du Louvre); Alfons Mucha, Le Lys (1898)



3 commentaires:

JulienFromDijon a dit…

J'avais bien lu quelque part que les lys (de la madone) étaient des fleurs muettes, et que toutes mention d'un tel ingrédient dans un parfum ne renvoyait jamais qu'à un cocktail de synthétique.
Depuis je suis revenu de "lys méditerranée" et c'est avec beaucoup de désillusion que je regarde les parfums qui cherche à reproduire un lys. Car comme vous le dites, tantôt on a un soliflore qui offre un trompe l'oeil très partiel du lys, tantôt il s'agit d'une facette dans une composition complexe.

Vous décrivez à merveille l'odeur du lys.
Je me demande vraiment ce que donnait ces macération de fleur de lis dans l'huile.

Je ne connaissais pas l'origine du lys dans la mythologie grecque, ça me fait bizarre qu'il soit rattaché à Héra. Quelles sont tes sources sur ce point?(petit errata : Hercule n'est pas le fils d'Héra, quelle que soit la version du mythe c'est le fils d'Alcmène -sauf chez Disney ^_^!-)

Six' a dit…

Julien,

Ciel, quelle boulette - j'ai confondu Héraclès avec Héphaïstos! C'est d'autant plus comique que je suis, de formation,... archéologue! ;)
Merci de m'avoir signalé cette horreur, je vais corriger de ce pas!

Cette légende circule un peu partout sur Internet, mais la version la plus complète que j'aie trouvée est dans "La mythologie des plantes" d'A. de Gubernatis, un charmant livre du 19ème qui a été digitalisé (notamment ici)

Quant à l'odeur de l'huile de lys... je donnerais beaucoup pour la sentir! Parmi les anciens parfums, je sais que le kyphi a été recomposé il n'y a pas trop longtemps, et Olivia Giacobetti en a donné une interprétation très libre dans son Eau Egyptienne pour Cinq Mondes... mais point de susinum à ma connaissance!

Pour la senteur véritable du lys, je n'ai pas encore trouvé mieux jusqu'à présent que Lily & Spice de Penhaligon's, qui me semble très proche de la fleur naturelle, sans malheureusement en avoir vraiment l'opulence... mais il est déjà pas mal du tout!

Grand merci à vous d'être passé ici!

JulienFromDijon a dit…

Sympa cette "mythologie des plantes", je l'ai parcouru pendant une heure sans voir le temps passé. (le lis, le narcisse, le lotus, la myrte...)
Il me rappelle le "dictionnaire des symboles", qui nous noie de détails pas toujours judicieux, et où l'auteur donne un avis très subjectif. D'un autre côté cette façon de me laisser sur ma faim me permet de digérer ces nouvelles histoires et de continuer à rêver.
J'ai bien aimé quand l'auteur suppose qu'on lit parfaitement le latin (hic), surtout que la numérisation a crypté et amalgamé des lettres, c'est très drôle. La lecture devient un jeu d'archéologue, et entre lire sérieusement ou survoler le texte on ne sait plus sur quel pied danser.

Le kyphi, j'en ai entendu parlé, une reconstitution par Sandrine Videault (Manoumalia chez "les nez" est sa dernière création en date). J'ai cru lire qu'il avait été volé au musée du Caire, et n'était plus disponible.

J'essaierai de sentir les Penhaligon et Lily&Spice, comme c'est une marque qui me séduit peu j'ai souvent tendance à passer à côté.